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La Confrérie des Libraires Extraordinaires
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10 juillet 2012

D'un seul coup, on est tout petit

Peut-être vous aussi avez remarqué ca.


Imaginez vous devant une bibliothèque. Une bibliothèque, mais pas une toute ronde toute molle, je parle d'une vraie, celle qu'on bâtit au fil des achats et des lectures, des années et des envies. Eh ben d'expérience, on se sent tout petit devant une si grande, des murs de bouquins bâtis en quatre vingt ans, d'autant plus quand certaines étagères son spécialisées. Imaginez tant de bibles et de traductions différentes, d'exemplaires du Coran, de concordances diverses, d'essais de théologie, qui s'étalent sur un mur entier.
Et encore, regardez ce mur de littérature, à gauche, à côté de la fenêtre, avec Berl, Gide ou Colette. Ou bien cet autre pan à droite, ou se cotoient Soljenitsyne, Sartre, Bainville ou Barrès. Et cà et là, sujets d'actualité des années 1980, Que Sais-Je sur l'histoire de la musique, le droit romain ou l'an mil.
Et un meuble où roupillent Boccace, Rimbaud, Dostoïevski. Ceux-ci dans des éditions plus cossues que les autres. Autant les éditions du paragraphe précédent sont communes, ou l'étaient en tout cas à l'époque où elles ont été achetées, autant celles là se veulent plus chic mais ont été rappelées à l'anonymat depuis. Il n'empêche que mis les uns à côté des autres comme c'est le cas, les textes s'enrichissent tacitement et involontairement, les volumes s'accordent les uns les autres une noblesse qu'on ne retrouve que dans ce genre de pièce. La proximité de tant de volumes, l'effet de masse produit donne à la pièce une atmosphère qu'on ne retrouve que dans ce genre de collection, que dans le livre. Tous ne sont pas forcément des éditions classes, ni forcément impeccable après tant d'années, mais représente bien celui qui a réuni les volumes. Ceux ci, et ceux des autres pièces, ceux qui ne tenaient pas forcément dans la bibliothèque principale, et on peut voir des annexes ailleurs, menées par Tagore, du Bellay, Bernardin de Saint-Pierre ou Teilhard de Chardin. Ou des essais sur Sainte Thérèse de Lisieux, ou des Citadelles et Mazenod, par exemple.

C'est curieux, cette faculté que peut avoir une bibliothèque privée à agir non seulement sur l'atmosphère de la pièce, mais aussi représenter ses propriétaires, leur donner une profondeur et une grandeur, une sagesse presque. Et attention, il s'agit là de ce genre de personnes discrètes qui vous regarderait fureter dans les rayons le sourire aux lèvres.
Il y a donc ces blocs, ces bouquins triés au ressenti, loin des rayonnages stricts des librairies, y compris de la mienne, ils sont magnifiques, mais on ne retrouve pas la classe de la bibliothèque privée et de tant de volumes personellement désirés et lus, et probablement, à leur époque, générateurs de discussions, de débats ou d'échanges qui prouvent que leur lecture n'a pas été vaine. Le texte s'est étendu au delà de la lecture qui en a été faite, et s'est prolongé en dehors du volume par le lecteur lui même. C'est dans ces moments là qu'on s'apercoit que le texte et le lecteur se font grandir l'un l'autre à chaque contact.
Plus grand encore que le rayon que le libraire bâtit pour ses clients, il y a celui que le lecteur bâtit chez lui. Dans cette bibliothèque vertigineuse devant laquelle j'étais, on pouvait dater les décénnies d'activités devant les tranches jaunies, les papiers utilisés par les éditeurs, les noms mêmes des maisons et des collections, l'état des livres et leur allure si caractéristiques des époques auxquelles ils ont été achetés.

Pour autant, ce genre de livre, ces éditions des années 1940 ou 1980 perdrait son aura chez un autre propriétaire. Hors de la pièce, déjà, et ce qui en émane serait égratigné. Pire encore, tout élément parti n'abimerait pas la bibiothèque mais perdrait en charisme et redevneidrait un volume normal, loin de l'importance que son propriétaire y attachait, de la relation qu'il a pu entretenir avec et des motivations qui l'on poussé à l'achat de ce titre là, précisément.
Prenons l'exemple de cette Histoire de France, de Bainville, et de cette publication des années 1960. Certes, relu par un autre (qui n'était même pas né à l'époque), le livre comme le lecteur en sortirait grandi. Mais imaginons que ledit lecteur le prenne pour lui et le mette dans sa bibliothèque, le volume serait dépareillé au milieu de tout les textes nouveaux et les éditions plus récentes, plus caractéristiques de maintenant. Ca ne ressemblerait pas au nouveau lecteur d'avoir ce texte dans cette vieille édition somme toute commune. Certes, qui a cinquante ans, mais commune. A l'inverse, ce même texte en Laffont Bouquins dans la bibliothèque du nouveau lecteur le représenterait beaucoup plus et aurait une portée et une résonnance plus remarquable.
C'est là que prend le travail éditorial prend toute son sens. Il s'agit d'être représentatif du lectorat actuel pour qu'une fois dans une buibliothèque conséquente, celle qu'on bâtit en une vie, elle représente le lecteur qui l'a choisi, acheté, lu et maturé. Pour que dans soixante ans, la nouvelle génération tienne ce même résonnement, lise l'Histoire de France de Bainville en Bouquins et le choisisse dans les éditions qui fleuriront en librairie dans cette époque future.

Reste à imaginer ce que deviennent ce genre de volume courant à l'époque où ils ont été achetés, vieillis et peut-être un peu sales quand la génération suivante, ou celle encore d'après s'empare du contenu et fasse vivre encore le texte par les éditeurs qui actualise l'édition aun fil des décénnies, et les survivants deviendront peut-être source d'enthousiasme ("Oh, regarde, une édition de Bainville, elle date de 2010 !") voire de fantasme dans quelques siècles (qui aurait par exemple imaginé au XVIIIe qu'un livre puisse déchainer tant d'enthousiasme et d'émotions chez les collectionneurs du XXIe ?). Entre temps, il partira peut-être avec le reste de la bibliothèque, ailleurs, ou bien seront malgré tout éparpillés, au gré des vents et d'intrigues devant lesquelles ils ne peuvent rien (on vend les murs autour, on vide la bibliothèque et on regarde ce qu'on en fait, de tout ca).

Comme quoi, c'est pas n'importe quoi, une bibliothèque. Plus qu'une vie entière, c'est ce que le lecteur en a fait que la bibliothèque traduit.

 

bibliotheque-infini

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