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La Confrérie des Libraires Extraordinaires

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25 août 2020

Caché en évidence

huby

Maintenant qu'on se connait bien, je sais que vous me diriez si je vous bassine trop avec mes concepts bidons comme le livre de toilette ou le livre de salon. Celui de toilette, vous savez, le rigolo et facilement interruptible, celui qui parait concu pour ce qu'on y fait tant sa lecture s'accorde au moule de l'activité ? Celui de salon, comme l'est celui que Germain Huby nous livre, trouve sa place sur votre table basse ou à proximité de votre canapé lorsque vous vous y affaissez quelques minutes après votre journée de travail, vos commissions à l'épicerie, votre session de ménage ou de vaisselle ou ce que vous voulez.

Il s'agit là de petites pastilles, de vignettes pleine page recoupant des tranches de vie tantôt réaliste, tantôt fantasques et qui oscillent entre le cruel, l'absurde, la poésie et le réalisme. Le dessin y est appliqué et le texte un peu travaillé et, à bien y regarder, Fabcaro n'est pas loin. On y trouve le même rictus caustique, un trait similaire, des personnages trop étoffés pour une vignette mais qui s'y expriment beaucoup.
Le travail de Germain Huby est honorable, évidemment, mais le parallèle est trop évident. Malgré lui, il souffre de la comparaison évidente avec Fabcaro et son succès soudain et fracassant. Il a crevé l'affiche et ouvert une voie dans laquelle s'engouffrent d'autres dessinateurs, auteurs et scénaristes sans qu'on puisse parler d'opportunisme. Les deux s'illustrent depuis déjà longtemps et parmi eux s'est affirmée une locomotive. Germain Huby trouve une place dans le panache d'une tête d'affiche, certes, mais s'il est quand même présent jusqu'à figurer au catalogue du Tripode, c'est bien que sa valeur est évidente. Le bougre ne rattrapera peut-être pas le maitre mais s'est fait une place. Et ça, c'est déjà classe.

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21 juillet 2020

Le dominicain

Tu es le dominicain de la tristesse

étends les mains
bénis aussi les bêtes

et remercie Dieu de t'avoir fait insensible.

 

Marie-Claire Bancquart (1932 - 2019) "De l'improbable", Arfuyen, 2020

19 juillet 2020

Surabondance

sirenes

Vous savez quoi ? Je suis sur que personne ne vous a encore jamais parlé de la cuisson de la littérature. C'est vachement important, ça, comme la posologie en médecine ou les ogives en architecture. Un texte, ça se pèse, se sous-pèse, s'arrange, se mixe et s'étalonne (comme au ciné) et on se retrouve finalement avec tout un tas de trucs à réaliser pour livrer un texte qui se tienne droit, fier et haut.

Du coup, je suis sacrément déçu. Parce que sur le menu, il avait l'air beau et bon, Sirènes. Bien présenté, bien agencé, extremement riche et appétissant et j'avais hâte de voir arriver mon plat.
Il y est question d'humanité prise à la hâte, principalement. La lumière du soleil est devenue extrêmement nocive, bien plus que maintenant et les cancers provoqués étaient sacrément plus costauds. Et contagieux, surtout. D'où la nécéssité de vivre sous terre, dans des blockhaus et des bunkers qui ont fini par former une mégalopole vitale tant la surface est devenue invivable. Le Japon a alors dominé le monde et la yakuza a rapidement commencé à tout contrôler, jusqu'aux élevages de sirènes dont on a découvert l'existence au moment des épidémies de "cancer noir" et qu'on élève à des fins purement alimentaires. Forcément, il faut une péripétie, comme on nous l'apprend en sixième, et elle passe par le personnage principal qui s'accouple avec une sirène et donne naissance à un croisement.

Ca a l'air tordu comme ça mais on se doit de faire confiance à l'auteur comme on se doit de le faire en science-fiction et dans toutes les formes de littératures. Alors on regarde, on se penche sur le bassin et on se laisse porter. Le problème se pointe néanmoins assez vite.
Depuis mes mésaventures rocambolesques avec Le palais de glace, de Vesaas, je m'abstiendrais de trop parler du style de Laura Pugno tant la traduction peut jouer dessus. On ne peut pas lui tenir rigueur des carences de sa plume si le prisme de la traduction est passée par-dessus, même si les traduction entre l'italien et le français ne sont pas non plus les plus ardues.
Le problème le plus notable réside surtout dans la variété dingue des idées de Laura Pugno et de leur incapacité à cohabiter. Quoiqu'il s'agisse sans doute plutôt du manque de lien entre toutes, comme un mur sans mortier, ou que sais-je. Les idées font chacunes leur effet, indépendemment, mais peinent à s'imbriquer les unes dans les autres. L'harmonie générale du post-apocalyptiques où doivent se cotoyer sirènes, expatriés, désespérés, yakuzas et malades dissonne. On y trouve quelques relents de Waterworld (lui-même ersatz aquatique de Mad Max) et de La guerre des salamandres, de Karel Capek, le côté Verne en moins.

D'où, la cuisson. Tous les ingrédients ne se cuisent pas pareil. Si vous jetez tous pêle-mêle dans la poêle, vous vous apercevez vite qu'il vous en aurait fallu d'autres. Avoir de super idées est finalement assez différent de savoir les exploiter. On se retrouve alors avec des morceaux de développement d'idées juteuses placés les uns à côté des autres, sans transition ou presque et sans unité. Tout ne s'écrit pas pareil et toutes les idées ne se développent pas de la même manière.

Mais reconnaissons le beau geste, en revanche. On ne peut pas retirer à Laura Pugno l'ambition d'avoir tout voulu coller au même endroit. 

17 juillet 2020

L'avenir n'est pas si loin

Esther

Il y a plein de trucs, chez Esther, vous savez ? Il va falloir que je vous en touche deux mots, et, puisque vous avez deux minutes, ça tombe bien.

Ne cherchons pas vraiment à remettre Esther dans un contexte quelconque qui pourrait lui convenir, il n'y en a pas. Si vous voulez, à la rigueur, je peux vous dessiner les contours du décor 'même si j'ai parfaitement conscience que le pitch est proche de l'impossible): il faut imaginer un futur proche où l'état semble s'être effacé au profit du privé, mais d'une seule boite qui contrôle tout et propose tous les services, quels qu'ils soient et quelle que soit la branche dont ils relèvent. Encore que l'état n'est peut-être pas si effacé mais juste déguisé, tapi dans l'ombre de la grosse boite, la grasse multinationale grasse qu'Olivier Bruneau esquisse très tôt dans le texte. Une fois à la maison, on cède tous aux nouvelles modes, comme le veut notre société consumériste. La mode dépeinte ici, ce sont les robots ménagers, que tout monde ne s'arrache pas mais que les commerciaux implantes durablement dans les magasins et la société. Et, évidemment, c'est Olivier Bruneau, l'auteur de Dirty Sexy Valley, alors s'il n'y a pas de cul...
C'est à ce moment-là que se dégagent tout un tas de questions qui bourgeonnent de concert: les envies consuméristes presqu'animales, la place de la femme, la perte de souveraineté de l'état sur son territoire, les connexions complexes des affaires publiques et privées, entre autres. Plus encore, le renversement de la grande question de l'asservissement, tant les robots ménagers démocratisent et remplacent le personnel de maison jusqu'à se rendre corvéable à merci et à tout accepter. De fait, on arrive à se retrouver avec une masse de travailleurs gratuits parce que non-humains et, parce qu'ils ne le sont pas, les limites de ce que l'humain peut accepter tombent les unes après les autres. Les questions concernant les formes d'esclavages et la culture du viol commencent à pointer le bout de leurs nez.

Du coup, on tombe vite dans une demi-SF. Si on passe sur le côté porno délirant qu'on trouvait déjà dans Dirty Sexy Valley, on se plait à trouver une société abasourdie qui se fond dans un Fahrenheit 451, presque jusqu'à un Wall-E, et qui pourrait même, se dit-on rapidement, aller vers I-Robot. Il y a pas mal de choses dedans (mais pas Will Smith) et, même si j'occulte volontairement un pan entier de l'intrigue parce qu'il ne faut pas déconner, on peut se réjouir du ciment qui lie les éléments qui composent le texte. Mais bon, il faut bien avouer que le rythme brinquebale un peu, que le prologue patine et l'exposition est longue.
Ce rythme dont je vous parle repose vachement sur les dialogues et les interactions entre les personnages et, même si la lecture s'en trouve vachement facilitée et fluidifiée, l'inventivité des dialogues est un peu en deça de l'inventivité de l'articulation des thèmes choisis. Qu'on ne me fasse pas non plus dire qe que je n'ai pas dit, hein, je ne raconte pas qu'il faut en lâcher la lecture parce que c'est long, ce n'est justement pas ça. La mise en route est longue et le texte tend vers le diesel, mais c'est la richesse des thèmes qu'il aborde et qui le fait tendre vers la science-fiction qui lui permet d'être noté.

Oui, je sais bien que la couverture est rose et que ça attire l'oeil, mais il y a bien d'autre chose à trouver qu'une couverture fuschia et une silhouette nue dessus. Parce que c'est dedans que ça se passe.

14 juillet 2020

Et tant pis pour les Rois Maudits

armagnacs

Au diable Netflix !

Non pas que je n'aime pas son contenu ou que je ne l'utilise jamais mais, à bien y regarder, on trouve les même choses en librairies. Et si en plus, le matériau historique est vrai et vérifié, c'est encore mieux. Dieu et le roi savent que c'est rare, pourtant.

Parce que c'est pas le tout de se gargariser avec Les Tudors, Kingdom of Heaven, Vikings ou Excalibur, mais il y a un biais littéraire qu'on explore pas. Prenez Armagnacs contre Bourguignons, par exemple. Le titre est bidon, certes, et Bertrand Schnerb ne s'est pas foulé dessus. Quoiqu'on puisse aussi prendre le parti de n'en pas choisir et de renvoyer les partis armagnac et bourguignon dos à dos. On ne juge pas l'histoire, après tout, et il n'y a de meilleures fictions que celles qui refusent de trier ses personnages selon la méthode manichéenne. Et puis, en plus, Armagnacs contre Bourguignons, c'est même pas une fiction. Et pan.

Pour remettre en contexte, même si Schnerb le fait vachement mieux que moi, il faut se figurer Charles VI, le roi fou, même si on n'avait pas le luxe de se permettre de dire que le roi était fou et, comme il l'était, on était un peu emmerdés alors on disait qu'il était "empêché") qui se tenait éloigné du pouvoir assez souvent, en proie à des crises sombres comme Bernard Guénée les décrit tant bien que mal dans La folie de Charles VI, mais on verra ca plus tard. Du coup, c'est la famille royale, un peu écartée du pouvoir par le nouveau roi qui récupère les affaires courantes et un peu plus en éjectant les potes du roi, vus comme des parvenus. Le retour des vieux briscards du pouvoir (où on ne verra aucune analogie malvenue avec les éléphants dont on parlait pour d'autres et dans un autre contexte au XXe siècle) change la donne, et les frères du prédécent roi et, du coup tontons du présent (sans analogie non plus avec l'argot de la mafia discrète et en cravate), font rouler les affaires nationales en plus des leurs. Ca s'entend bien, mais pas que. Le roi de Bohême appelle à l'aide contre les Ottomans et on est pas d'accord sur la guerre à mener, pas plus que sur l'attitude à adopter face aux papes de Rome et d'Avignon (et plus, il n'y en a peut-être pas eu que deux), ni sur les affaires italiennes sur lesquelles on s'oppose aussi en fonction de l'engrenage des alliances ducales. Mais royales, ca passe au second plan. Comme si Castex, Darmanin, Dupont-Moretti et Bachelot profitaient de la santé défaillantes de Macron pour se placer eux avant de placer le pays. Et comme ça s'envenime grave, tout part en couille. Entre 1407, date retenue comme les premiers clashs armés et 1435, fin officielle après le traité d'Arras, on a connu une sacrée guerre civile. Sur fond de Guerre de Cent Ans, évidemment.

Et partout, hein ? Même si les Normands, les Berrichons, les Toulousains et quelques Picards avaient commencé à regarder l'agitation d'un oeil torve et inquiet, la guerre s'est généralisée. Il y en avait partout, à grands coups de mercenaires navarrais, de débarquement anglais (déjà), de tentative d'incursion impériale germaine et tout et tout. Et plus encore, cession de la couronne de France à la couronne d'Angleterre, de désastre militaire à Azincourt, d'assassinat politiques majeurs, de démambrement physique de membre du gouvernement et tout et tout. La période a été riche et rocambolesque et Bertrand Schnerb la narre comme il faut.

Quand je vous parlais de Netflix, je ne vous cache pas que j'avais fait exprès, hein ? Armagnacs contre Bourguignons, c'est vraiment une série sur papier. Chaque chapitre fait rebondir l'intrigue encore et encore, toujours un peu plus. On voit des personnages s'affirmer ou disparaitre au fil des saisons, des enlèvements improbables et des meurtres, des morts inespérées qui changent la tout le damier politique, des nouveaux personnages qui complexifient encore l'intrigue par leur arrivée dans le jeu, des enquêtes judiciaires qui se heurtent aux hautes sphères de l'état (des crimes d'état, quoi)... Plus encore, en guest, des rois étrangers, des empereurs, de papes, et même Jeanne d'Arc (même si elle ne reste en fait que quelques mois sur les trois décénnies, mais qui font justement tout, même si il faut aussi relativiser l'identité du personnage, hein), et Charles VII qui, en fait, n'était amené à devenir roi que si ses trois frères aînés décèderaient avant leur père. Et puis des armées finalement composées de types de vingt ans qui, au bout d'un moment, n'auront connu que la guerre civile. Et d'autres aussi, mais je confesse volontairement couper mon article et retirer tout un paquet de spoils. Il y a des éléments, non pas à taire, mais à préserver pour ne pas écorcher votre lecture et vous assurer des réactions enthousiastes, des bouches bées et des contrepieds constants. C'est ce dont regorge Armagnacs contre Bourguignons.
Et le plus vertigineux, là-dedans, c'est justement que c'est de notre histoire dont Bertrand Schnerb nous parle. On ne l'a pas vécu mais notre pays, si.

C'est sans doute le plus fou, dans tout ça. On la tient, notre série sur l'Histoire de France, mais personne ne la tourne. Quoique ce ne soit pas vraiment grave, puisqu'on peut quand même se la faire nous même.

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12 juillet 2020

Le soleil voilé

jeune vera

On se découvre toujours un peu plus. Je regretterais presque d'avoir si peu à dire sur La jeune Vera tant l'effet que le texte devait produire sur moi et celui effectivement produit diffèrent. Tout est écrit de manière à provoquer un effet boeuf comme l'Abbé Prévost ou Francis Scott Fitzgerald ont pu le tenter à leurs époques.

Il se passe quelque chose, dans La jeune Vera, mais c'est l'écriture qui véhicule ce dont l'intrigue est dépourvue. L'effet recherché est visible et assez proche de Gatsby le Magnifique dans sa construction. Il faut, pour cela, un narrateur présent partout mais impliqué dans rien, qui s'efface au profit d'un personnage secondaire qui crève l'affiche et se retrouve au centre de tout, presque jusqu'à devenir le McGuffin du texte. Ce personnage, Vera (car c'est elle), est construit comme Manon Lescaut ou Jay Gatsby: blessé mais solaire, charismatique et toxique, instable et capable de susciter le besoin de s'y accrocher. On a envie d'aller vers eux tout en reconnaissant en nous même qu'on ne devrait pas et, si on connait tous dans nos vies des personnes qui ce rapproche de cet état et de qui émanent de genre de choses, on sait la difficulté potentielle de les éviter. Au fond, exactement comme Nick Carraway devant Jay Gatsby, sous l'emprise de cette fascination si particulière.
Le texte lui même absorbe la fascination que Vera excerce sur le personnage principal et il faut bien avouer que son statut de texte russe de l'époque soviétique redécouvert et retraduit pour arriver jusqu'à nous lui confère une saveur que peu de textes transmettent. Il y a plein de trucs qui gravitent autour du texte sans qu'il ne s'en rende compte. Malgré lui comme pour certaines personnes et certains personnages, le texte trimballe un halo indéfini qui nous attire vers lui.

Pourtant, il ne se passe rien dedans. Les tentatives d'ensoleiller Vera, auprès de moi en tout cas, sont restées un peu vaines. Le personnage passionne, est un sujet rêvé pour un psychanalyste, regorge de tout un tas de questions qu'on aime remarquer et se poser quand on est lecteur mais le reste du contenu n'amène pas à se lancer dans la lecture à corps perdu. Le personnage est peu exploité par d'autres auteurs, pourtant, et, hormis les deux mentionné plus haut, on galère à trouver d'autres auteurs et d'autres romans qui s'y soient lancés. Sans trop d'éléments de commparaison, donc, le texte a suffisamment de champ libre pour prendre l'espace de notre esprit qu'on veut bien lui allouer lorsqu'on entame la lecture. Mais il manque quelque chose.
Malgré l'espace exigu, le huis-clos du train militaire qui traverse la Russie comme il était courant à cette époque, le récit est finalement plat. Peut-être aussi que la singularité du texte, pas le cadre des trains militaires où se cotoient des gens de tous horizons au sein de la même entité et pour le même voyage, se retourne contre lui. Certes, on a pas ça en France, et c'est sans doute le problème, finalement: il nous manque un repère solide pour profiter du texte et des personnages qui lui donnent sa couleur.

Et puis bon, même s'il n'y a pas beaucoup d'éléments de comparaison possibles et si ni Vsevolod Petrov ni Gallimard ne le mentionnent, il y a quand même un parallèle évident avec Gatsby. Et c'est pas rien, de tenter de se mettre dans le sillage de Gatsby, même si le schéma se rapproche de Manon Lescaut. Forcément, en se placant entre les deux, la place est difficile à prendre.

9 juillet 2020

Le Grand Nulle-Part

norilsk

Pour ceux qui se posent la question, parce qu'elle est inévitable, Norilsk n'a de polar que les écrits pour lequel on connait son auteur. Caryl Férey en écrit, mais pas là.

C'est juste qu'il y est allé et que Norilsk (la ville, pas le texte) vait excité sa curiosité. C'est un coin pourri, un ancien goulag devenu ville à part entière, dont la population est très largement employée par la mine qui s'y trouve. Mais aussi, la température y descend jusque soixante en dessous de zéro, la faune et la flore se sont barrées sur trente kilomètres à la ronde à cause de les pluies acides gnérérées par les usines qui s'y trouvent, la population baisse mais seulement sur autorisation des autorités, les spots d'urbex y fleurissent, les lac ne gèlent jamais à cause de la pollution, la ville part en lambeaux et, pour ceux qui veulent aller y faire un tour, l'autorisation des services secrets russes est obligatoire. Ou alors, faut aimer la garde à vue et les interrogatoires de l'enfant du KGB. Voilà.

C'est un récit de voyage à part, du coup. Par la destination choisie, déjà, mais parce que c'est Caryl Férey, en plus. C'est sa plume cynique et outrecuidant (que j'utilise ici parce que plus personne ne le fait) qui laisse le récit en marge de Tesson, Shackelton, Arthaud ou Bougainville. Ou Borgnefesse, mais lui, c'est parce qu'il n'existe pas, en fait. On sent l'auteur de roman noir et, plus encore, on le voit se regarder lui-même sous un prisme différent.
On sent qu'il n'a pas l'habitude de parler de lui comme il le fait dans Norilsk (le texte et la ville) et qu'il se trouve peut-être aussi poussé au cul par le voyage lui-même. C'est toujours l'occasion de se poser devant soi, un voyage, à plus forte raison vers une destination aussi badass et a priori inhospitalière. Il parle vachement des Russes, des habitants de la ville et de la ville elle-même, et beaucoup, mais il laisse les lignes décrire un peu plus que son séjour là-bas. Il laisse sa plume donner une auitre vision de lui-même pas lui-même, étant à la fois cible, vecteur et destinataire. Nous, on est là pour voir Norilsk et ce qui la fait vivre, et c'est croquignol et barriolé, mais il n'y a pas que ça à trouver dans le texte.
Du coup, forcément, c'est une super porte d'entrée pour qui n'a jamais lu Caryl Férey. On y trouve sa passion pour le foot comme dans Raclée de verts, l'inspiration de son personnage comme dans La jambe gauche de Joe Strummer, ses habitudes d'escapades comme pour Mapuche, et son inspiration pour écrire son roman en Sibérie, celui qui finalement est devenu Norilsk (le texte pas la ville).

Parce qu'on sent bien que ça l'a marqué, Norilsk. Le matériau, la ville elle-même, a l'air de produire un effet de ouf et ça ne pouvait aboutir qu'à un récit de voyage. Vu de chez nous, c'est une ville inacessible, tant par le froid que la pollution et le FSB mais, plus on suis Caryl Férey dans sa découverte de la ville, plus on la sent toujours mystérieuse. Différemment, mais toujours encore un peu. Il donne la parole à tout un tas d'habitants rencontrés là-bas et qui éclaire un peu la zone d'ombre que Norilsk représente dans nos esprits mais quelque chose nous échappera toujours. Des lieux abandonnés, souvent: ici un immeuble pourri, là une grande colline où se coitoient cadavres de bus ou de ferrailles, plus loin encore, une usine fermée parce qu'écologiquement catastrophique, même si Norilsk est une des villes de toute façon les plus polluées au monde.

Il y a l'expérience humaine, aussi et la necéssité, pour découvrir un autre lointain, de s'abandonner un peu. Pour découvrir un ailleurs et connaitre un homme ou une femme à la culture si différente, il faut nécéssairement s'alléger l'esprit et laisser de côté nos sophistications inconscientes et vitales. Comme si on revenait à nos bases, à ce qui nous fait homme, à nous défranciser pour nous russiser et comprendre ceux qui le sont naturellement, comme chacun ferait pour connaitre l'autre. Comme les Russes auraient pu/du le faire devant les Nénètses, habitants originels de ce coin de la Sibérie. Même entre nous, on ferait bien de le faire, même à une échelle différente.

Le matériau de Norilsk est riche et dense, et c'est justement ce qui fait du texte un récit à part dans l'oeuvre de Férey, dans le genre et dans l'autre, dans la littérature plus largement. C'est l'oeil d'un romancier quui se pose là, qui ne verse ni dans le voyage, ni dans le polar, ni dans l'histoire, l'éthno ou la socio et qui met tout en même temps, sur un fond rock trop ancré en lui-même pour qu'il ne s'en dépareille. C'est parce que le sujet est inattendu, riche et improbable que, malgré Caryl, Norilsk ne pouvait être un polar ni Férey en accoucher.

8 juillet 2020

La fête

Pour faire suite à un article du confinement, un fun fact pas si fun et surtout pas relu, blindé de fautes d'accord, de frappe et d'orthographe, il me faut vous annoncer la rupture officielle de cette période où la Conférie ci-présente était dépourvue de libraire. Le remplumage, enfin !

6 juillet 2020

La gloire et le reste

sorel eros

Pour être tout à fait franc, je suis un peu emmerdé, là. Par curiosité, j'ai acheté et lu Sorel éros presque compulsivement et juste parce que c'est un palindrome géant. L'exercice de style est magnifiquement relevé et c'est de là haute volée, mais je me demande quand même pourquoi.

Non, parce que, c'est un sacré fait d'armes, quand même, un palindrome de dix milles caractères. Ca demande un travail colossal et fastidieux, et on pourrait même se dire que Jacques Perry-Salkow, qui connait bien les anagrammes et ces jeux de lettres, et Frédéric Schmitter, qui connait bien l'Oulipo et les jeux de langue, s'avèrent être deux petites fourmis dans leur immense boulot accompli, mais le pourquoi reste quand même un peu tenace, même si la question s'adresse plus à l'éditeur qu'à eux. Mais je m'explique.

Georges Perec, en son temps, en avait pondu un de cinq milles caractères (en gros, j'arrondis un peu tous les chiffres, je le concède). Même si Perry-Salkow et Schmitter ont dézingué le record établi par leur modèle et rendu un texte qui avance cahin-caha. Certaines phrases font monches et inspirent le respect pour les auteurs qui, sans le choix des lettres ou à moitié seulement, arrivent à mettre des baffes. Quant aux autres chapitres ou paragraphes, ils n'évitent pas les accrocs de la règle imposée, et la lecture s'en ressent. C'est assez dommage, finalement, un patchwork qui laisse à demi-pantois malgré l'incommensurable réussite de leur entreprise.

La réussite est belle et l'édition se devait de l'honorer, mais peut-être Rivages s'emballe-t-il (ou s'emballent-ils ?) sur le produit final. Le prix s'en ressent, et on en arrive à se faire la réflexion: tout ça pour ça.
Il fallait honorer cet exercice réussi en le publiant, mais bon. Autant qu'il fallait aller au bout du projet, mais bon. Peut-être n'était-ce pas si utile, finalement. Malgré le respect que l'on doit aux auteurs.

4 juillet 2020

L'excès de tout et l'excès de rien, ou l'expérience de la matière

CVT_Les-Employes_4329

Ajourd'hui, les copains, je vous vends un truc qui vend lui-même du rêve. Et, sans vouloir spoiler ou exprimer une quelconque forme de méchanceté envers qui que ce soit ou quoi que ce soit, ca ne fait bien qu'en vendre.

Parce que ca s'annonce vachement bien et ca donne l'impression d'être la porte vers un texte qui te porte et dans lequel tu va pouvoir te lancer à corps perdu, et on le cherche tous, ça. Ca parle de futur lointain, de contrées très éloignées de la Terre, de société dictatoriale, de politique de gestation et de tout un tas de trucs qui excitent l'intellect et l'envie d'imaginaire. Plus encore: une fois la lecture entamée, on se retrouve vite face à des entités au centre de tout et dont on ne sait rien. Les narrateurs eux-mêmes ne savent pas. Ce n'est ni physique ni abstrait, ni vivant ni mort, ça n'a aucun état et tous en même temps, c'est doué d'intelligence mais pas tout le temps, et les les choix possibles qu'on imagine l'autrice se poser donne envie de la suivre. On se retrouve à faire des parallèles avec d'autres auteurs, avec d'autres univers, à rejoindre les propos d'Alexandre Astier dans L'Exoconférence lorsqu'il se disait que les formes de vie extra-terrestres existent sans doute mais qu'on s'en fout, on ne pourra jamais se rencontrer, sans doute. Avec les écrits et idées d'Arthur C. Clarke, aussi, qui imaginait des formes de vie suffisamment différentes de nôtres pour qu'on ne puisse pas les détecter tant leur nature dépasse notre entendement; avec le jeu vidéo No Man's Sky et son approche de l'exploration spatiale perdue entre le trop-plein de technologie et l'étape nécessaire de la survie qui induit, de fait, une précarité latente. 

Les employés, c'est riche, donc. C'est très riche mais le récit tire de lui même vers le très pauvre. Les personnages qui s'occupent, gèrent, gardent, cherchent, entretiennent, les objets ou les nourrissent, parfois, ne savent pas forcément non plus grand-chose de la nature de leur protégés et de leurs fonctions (pas plus de celle des objets que de leurs, à eux) ni de leur travail, confié par une hiérarchie dont on ignore tout mais qui semble autoritaire, fermée et puissante jusqu'à verser dans un absolutisme de classe.
Le recours à l'absence de repère est donc recherché et sert le texte. Hélas, pourtant, il le dessert très vite. Les chapitres sont lapidaires très ou trop concis et inégaux et leur enchainement n'incite pas toujours à continuer. On ne peut pas se permettre d'en sauter, de peur de liuper des infos importantes qui ne viennent jamais. On ne sait jamais qui parle et de quoi, ni qui est qui, ni rien. Il faut accepter de lire sans rien comprendre, mais ce procédé a ses limites et devient lancinant et handicapant lorsqu'on passe les cinquante ou soixante-dix pages. Pour le formuler de manière plus brutale, on n'avance jamais et on se frustre. Certes, il y a un moment où le texte démarre enfin et décolle comme attendu, on le sait depuis qu'on commence sa lecture, mais le besoin en ressources intellos et chronos finit par être trop important pour trop peu de rendu. Ce que tu donnes au texte pour le connaître, il ne te le rend pas, et tu finis par avoir l'impression d'être venu à un rencard où l'autre ne parle pas.

L'idée d'Olga Ravn est pourtant hyper riche et intéressante et ne figure pas au catalogue de La Peuplade qui veut. Il y a forcément quelque chose dans ce texte, mais j'aurais l'impression d'être hypocrite si je vous demande d'être plus courageux que moi en vous demandant d'aller plus loin que moi et de marcher jusque là où je ne suis pas allé. Mais si je peux vous le demander, je vous le demande. Mais à demis-mots, parce que j'ai moi-même lâché l'affaire. Mais bon, ce n'est pas parce que ça n'a pas marché avec moi que ca ne marchera pas avec vous. C'est ce qui fait tout le sel de l'écrasante masse du lectorat mondial: elle est mouvante, tentaculaire, plurielle, multiforme et on en fait tous partie.

30 juin 2020

Errance, whisky et tabac froid

chabrier

Ma première journée au FBI, c'est un texte de confinement. Je ne dis pas ça parce que le texte était censé sortir en librairie en avril, pendant nos encloîtrements forcés, mais bien parce que le personnage le subit lui aussi. De là à dire qu'il s'agit d'un texte prémonitoire...

On le ressent assez vivement, le confinement, dans ce texte. L'ambiance bien rendue, peut-être un peu forcée mais elle donne aux personnage et à l'intrigue une couleur et une texture très marquée. On y goûte de l'élégant costard à rayures, du chapeau de feutre, des belles cravates au nords désserrés, des cigares qui se consument et es verres de whisky à moitié vide ou à moitié plein, selon l'appétit de qui les consomme. On s'attene presque à voir débarquer Nestor Burma à tout moment à ceci près qu'on est aux Etats-Unis. On aurait pu être dans l'état-major d'Edgar Hoover mais on penche plus dans le petit peuple, le flic en civil et en costard mais sans véritable grade. Encore que. On est dans la bourgeoisie des anonymes, ou bien dans la lie des grands flics. C'est bien de ça, qu'il s'agit, de flic, avec tout l'ambiance américaine qui va derrière. Comme Jack Malone, mais sans l'aspect rutilant du plateau de tournage et des caméras.

Pour qui aime ce genre d'ambiance, de personnage qui vit pour lui mais préfererait vivre pour les autres, qui aimerait recoller les morceaux de sa vie sans y toucher, le texte est très utile. Pour ui cherche du rythme, une enquête rondement menée, un coupable évident qui ne l'est pas parce que c'est trop facile, un fin limier, on y est pas. C'est justement les deux univers qui s'y côtoient qui donne au texte la direction dont il a besoin. L'énumération de clichés que je vous ai livré est mise à mal assez vite, soit dit sans vous spoiler.
C'est justement la dichotomie posée par le détective à l'ancienne, le flic américain en costard avant que L'arme fatale ne le rajeunisse. Il faut que le personnage soit très américain, soit le flic qui picole seul au bar et soit au bord du divorce mais soit dépeint par une plume et un esprit très français dont la manière de présenter, d'exprimer et d'écrire soit typique des Editions de Minuit (où Jean-Paul Chabrier est dajà passé, d'ailleurs). Le très américain raconté par du très français comme dichotomie qui se révèle locomotive du texte.

Bon, après, ca avance parfois un peu cahin caha. Le décor et la ton, sans être novateurs ou particulièrement créateurs valent le détour mais les répétitions sont bien nombreuses. On sait qui est le personnage, où il souhaite aller et où il va mais l'idée de le rabacher et de l'annoncer à chaque page ralentit le rythme. Comme le bip lancinant d'un oscilloscope dans une chambre d'hôpital, mais dans un tableau de Hopper plus que dans un polar.
Un tableau avec le moins de bruit possible. Trop pour être un tableau mais pas assez pour être un film. Le texte se perd un peu entre les genres pourtant tous deux étrangers à la littérature. Le rythme s'en trouve forcément affecté et les repères dont le lecteur à besoin difficiles à trouver. Contrairement à La soif (Andrei Guelassimov, Actes Sud), leur recherche ne relève même pas du jeu, hélas.

On y était presque, mais l'important à relever dans la lecture est de ne jamais laisser derrière soi l'idée qu'on lit un tableau.

26 juin 2020

Noé en exil

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Avouez, ca fait bien longtemps que je vous ai pas bassinés avec de la jeunesse. Remarquez, ce n'est pas ce que je lis le plus, non pas que je sois englué dans des idées reçues sur ce pan de la production éditoriale, mais mes affinités me portent souvent ailleurs. Et vous savez bien que je ne les contrôle pas trop, mes affinités. Elles font un peu ce qu'elles veulent.

L'avantage, c'est que mes lectures sont pleines de surprises et de virages inattendus. Comme cette allégorie de l'exil forcé, des migrations actuelles et des grandes problématiques sur lesquelles on s'écharpe. C'est assez important, parfois, de ce recentrer sur le coeur du questionnement et sur sa racine, sur le terreau sur lequel tout a poussé. Plutôt que de se triturer violemment l'esprit sur un tas de questions connexes, si on revenait aux gens qui bougent et à notre manière de panser à eux ?

Pour simplifier son propos et l'impreigner de toute la poésie que son père lui à légué, Issa Watanabe a voulu une histoire sans parole et sans homme. Ce sont des animaux, tous différents, qui migrent vers une destinaion indéfinie. Une arche de Noé sans Noé, en somme. Un long cortège qui s'éreinte de page en page, accueillant le seul personnage secondaire du récit, cachée sous sa capuche noire. Un cataclysme jamais mentionné qui les pousse vers ailleurs, leur maigre pécule en poche et leurs vies condensées en une valise. Sans doute, un oeil avisé imaginera les environnementaux comme catalyseurs de la catastrophe qui les pousse vers le vide ou vers ce qu'ils imaginent comme tel.

Le père d'Issa Watanabe, qui n'est pas plus japonais que sa fille (ou en fait si, mais d'origine, mais la famille est péruvienne), était pourvu d'une plume et d'une voix forte au Pérou mais, gélas, sans trop d'écho en France. Uga éditions est bien allé chercher une traduction, mais la somme de ce qu'on trouve ici laisse circonspect. Issa, elle, livre une fresque qui ressemble davantage à un cri, une courte plainte dense et esthétique, assistée à la fois par son pinceau et la voix de son père.
C'est aussi ca, qui fait la force de Migrants. Il n'y a pas qu'un questionnement sur l'environnement ou les migrations actuelles. Il y a un sacré trait qui nourrit l'oeuvre et l'exonère de mots. Parfois, les mots sont inutiles, les cris silencieux et la douleur incolore. C'est cette impression d'exploration de l'émotion par un support autre qu'Issa Watanabe arrive à rendre et à offrir. Il y a quelque chose de tendre, de violent, de dur et sourd qui imprègne non les pages mais l'oeil et l'esprit de celui qui le lit.

Pour peu, on pourrait même dire qu'il n'y a qu'Issa Watanabe pour parler de ces choses-là avec cette finesse.

 

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18 juin 2020

Abstention

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Je vous dois un article. Je me permets de vous l'annoncer dès maintenant en partant bille en tête, mais c'est pas pour rien, promis.

Non, parce que, dans Le palais de glace, il y a un sacré truc à trouver quand même, une ambiance qu'on trouve assez rarement. Cest contemplatif, bien narré et le récit entier semble feindre sa construction autour de la relation étrange, tacite et hypnotique qu'entretiennent deux filles de dix ans mais prend un malin plaisir à s'en exonérer pour tendre vers le fantastique et n'y tremper que les orteils et revenir vers un jeu de lumières.
Oui, vous avez bien lu. Un jeu de lumières. Forcément, la lecture et les images portées par le textes seront propres à chacun, un peu comme dans La couleur tombée du ciel, de Lovecraft, même si on était, là, carrément dans la SF dont Tarjei Vesaas prend soin de ne pas explorer et où il n'entre pas. 
A moins que ce ne soit l'inverse, finalement: prétexter une construction du récit autour de fantastique pictural pour parler des fillettes, ou bien faire mine de promouvoir la lumière pour parler d'autre chose encore.

La première chose qui arrête, finalement (et c'est là que je reconnais ma dette envers vous, puisque je vous bassine avec un post dans lequel je ne mets pas grand chose), c'est la traduction publiée par Cambourakis et reprise par Babel. Qu'on me pardonne de ne pas aller plus loin, mais le contenu du texte semble trop qualitatif et porvu d'une texture trop inventive pour qu'on puisse le rendre en français par des phrases syntaxiquement foutraques, des tournures bricolées à coups de scotch et de rustines, de mots qui ne vont pas ensemble et d'anachronismes. Le palais de glace est un roman qui apparait poétique et fantastique, aux relents de viking et de Maupassant et, forcément, lui donner l'air d'une belle maison où les raccords de peinture sur la facade n'ont pas tous la même teinte ou la même nuance, c'est vraiment chiant.

Du coup, je mets mon véto sur cette traduction et, promis, je reviens vers vous dès que j'ai pu poursuivre ma lecture avec la traduction de Garnier-Flammarion, certes plus vieille mais, au moins, écrite en français correct. 

10 juin 2020

Arythmie

Oui, je sais, j'enfonce parfois des portes ouvertes. Ici, par exemple, parler des Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire n'est sans doute pas le billet le plus original. Mais je m'en fous, parce que c'est d'une adaptation particulière dont je vais vous parler aujourd'hui. Vous savez, celle de Netflix qui vend du rêve.

Pour mettre dans le bain les ignares comme moi qui n'ont jamais lu les textes, le narrateur s'appelle Lemony Snicket et conte les aventures de trois orphelins vachement plus intelligents que la moyenne et les suit dans leurs pérégrinations et leur brinquebellements d'un tuteur à un autre. Le premier veut mettre la main sur leur héritage et les poursuit d'aventure en aventure, de tome en tome et, dans le cas présent, d'épisode en épisode. Du coup, on finit presque par verser dans le polar.

Contrairement au film avec Jim Carrey et Meryl Streep où le rythme est dense et effréné, celui de la série avec Neil Patrick Harris pêche un peu. Puis beaucoup. Quand dans l'un, vous ne respirez pas, dans l'autre, vous attendez. Vous ne savez pas quoi, mais vous attendez. Le choix de Neil Patrick Harris pour interpréter l'oncle extravagant, mauvais et calculateur vend du rêve et en vend beaucoup mais les faiblesses se montrent vite lorsque Harris, pourtant excellent comédien mais connu principalement pour son rôle dans How I met your mother, ne verse plus que dans son personnage d'alors. Le trentenaire new-yorkais exubérent, menteur et sympathique mais évoluant dans un environnement réaliste et terre-à-terre surgit tout le long des épisodes sous les traits de l'oncle des orphelins et de l'univers onirique et fantaisiste de l'adaptation des textes de Lemony Snicket.
Plus encore, la déception est palpable quand il devient le seul personnage celui autour duquel les épisodes tournent non par le personnage mais par celui qu'il l'interprète. Les autres s'en trouvent écrasés: les orphelins, ingénieux dans les textes et dans le film, se trouvent réduits à des enfants normaux; le banquier affable devient incapable de convaincre le spectateur à force de se déployer comme invraisemblable et grotesque; les personnages secondaires finissent par ne plus avoir que deux ou trois scènes différentes répétées indéfiniment au sein des épisodes qui leur sont consacrés.

Peut-être que c'est là que l'adaptation pêche: la finesse est indispensable pour écrire du grotesque. Vous ne m'en voudrez donc pas de profiter de votre envie de découverte, si vous souhaitez la diriger sur les Orphelins Baudelaire, pour vous aiguiller vers le film si vous souhaitez le condensé ou les textes eux-même si vous optez pour la totale.

 

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7 juin 2020

Escapade normande

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Ca vous chauffe, une virée en Normandie ? Parce que moi oui et il parait qu'on y trouve de fameuses accroches pour débuter un article. Et comme celle-ci n'est pas ouf, ca me sera utile. Et puis c'est beau, la Normandie. Même si c'est un peu décevant, Deauville sans Trinrtignant, mais ce n'est pas là que je vous emmène.

Vous connaissez Arromanches ? Je suis sûr que vous avez entendu parler de Gold Beach, page du Débarquement, ou de Mulberry, le port éphémère construits par les alliés déçus de n'avoir pas pris Cherbourg ou Le Havre à temps pour se ravitailler, et bien c'est exactement là. On a pas eu besoin des Américains pour foutre une riche histoire en Normandie. Les Anglais, bon, c'est autre chose, mais quand même.
Mathieu Larnaudie, lui, il y est allé. Il ne rend pas Arromanches trop mal dans ses lignes mais le récit claudique un peu. Je commence en taclant, je sais bien, et j'ai aussi très envie de vous préciser que je me lance comme ça pour vite passer sur ce qui ne va pas, parce qu'il y a aussi d'autres trucs.
Puisque Daniel Pennac parle des droits imprescriptibles du lecteur et qu'y figure le droit de taire l'auteur et de sauter des pages, on passera sur les quelques passages où Mathieu Larnaudie se décrit marchant dans la ville. Certes, il y décrit aussi la ville elle-même mais on est parfois pris en tenaille entre l'envie de lire Arromanches et de sauter l'autofixation de l'auteur. On entend, dans les librairies, énormément de lecteurs arguer que la littérature françaie contemporaine a une tendance maladive à s'autocentrer et à se regarder et on le remarque assez bien dans Limonov d'Emmanuel Carrère, où Carrère, désireux de consacrer un long récit à Edouard Limonov, a finalement pondu un long récit sur Emmanuel Carrère qui enquête sur Edouard Limonov, sur sa manière de le chercher, le voir et d'appréhender ses textes. C'est assez malheureux, mais peut-être n'est-ce pas un défaut de la plume ou des écrits de Carrère mais un travers propres aux auteurs français contemporains qui se rapprocherait sans doute plus du réflexe qu'autre chose: écrire sur un sujet ne suffit pas, il faut écrire sur soi face au sujet, sur l'expérience de son appréhension du sujet, sur sa manière de le voir et sur l'appropriation nécessaire. Le biais exonère une virée trop omnisciente et tout aussi imbue de la narravite non-fiction que les Américains affectionnent avec un investissement parfois fanatique, mais l'approche française de ce genre d'écrit ou de documentaire est parfois lancinante.

Prenons cet ivrogne que Larnaudie décrit non comme un passant ivre ou un spectacle mais comme le spectacle dont il profite. Peut-être est-ce un peu réducteur pour ledit ivrogne. Ou bien ce long passage circonstanciel qui décrit un dîner dans un resto local avec sa femme, qui n'apporte finalement pas grand chose d'essentiel mais se montre lui-même à table. Encore que débouche dans la foulée une scène importante du texte et dans laquelle, malgré son omniprésence, on trouve un tas de détails intéressants et qui charment.

Parce qu'on trouve ça, aussi, en Normandie. La région a su garder un charme qui n'appartient qu'à elle. Le martyr subi pendant la Seconde Guerre balafre la région, certes, mais la région l'utilise comme une force et a réussi à l'intégrer à sa bruine particulière, fine pellicule d'eau sur la peau et tellement différente de la pluie et la bruine; la lumière grise-bleue (et apparemment plus grise-verte vers le Calvados) qu'on vous défie de trouver aussi belle ailleurs, surtout lorsqu'elle baigne la mer; la torpeur qui n'en est plus une puisque le ressac l'atténue et lui offre une nature toute autre, annulant la nature anxieuse et dérangeante pour la muer en élément capital du calme apaisant qu'elle envoie à qui ose se laisser enlacer par elle. Cette côte normande, celle d'Arromanches, est de celles-ci: une grande personne charismatique et douce, à la grandeur passée et pleine de cicatrices encore fraîches mais de laquelle émane une grandeur, une force et un prestige que beaucoup nous envient.

Mathieu Larnaudie n'a pas pu empêcher de s'entrelaçer lui même à Arromanches, ou en tout cas à son récit, jusqu'à exaspérer parfois, mais il nous faut reconnaitre aussi que les passages qui semblent parfois relever de l'autocentrisme servent son texte tout autant qu'il l'handicapent. Peut-être aussi que son choix de s'investir dans le documentaire à moitié social comme peut le faire Strip Tease plus que de de verser dans une partie historique comme un Secrets d'Histoire fait tendre le récit vers une direction imprévue pour le lecteur. Mais avec quelle langue, le fait-il... 
Quoique je m'en veuille un peu de comparer Blockhaus à des émissions de télé. Le parallèle n'est pas superflu mais peut-être un peu réducteur. La langue dévelopée par Larnaudie vaut beaucoup plus que ce que ces émissions peuvent déployer.
Apportons à Mathieu Larnaudie le crédit qui lui revient par son choix de la Normandie. Parce que la Normandie, vous savez, elle a encore beaucoup à revendre.

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