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La Confrérie des Libraires Extraordinaires
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4 juillet 2020

L'excès de tout et l'excès de rien, ou l'expérience de la matière

CVT_Les-Employes_4329

Ajourd'hui, les copains, je vous vends un truc qui vend lui-même du rêve. Et, sans vouloir spoiler ou exprimer une quelconque forme de méchanceté envers qui que ce soit ou quoi que ce soit, ca ne fait bien qu'en vendre.

Parce que ca s'annonce vachement bien et ca donne l'impression d'être la porte vers un texte qui te porte et dans lequel tu va pouvoir te lancer à corps perdu, et on le cherche tous, ça. Ca parle de futur lointain, de contrées très éloignées de la Terre, de société dictatoriale, de politique de gestation et de tout un tas de trucs qui excitent l'intellect et l'envie d'imaginaire. Plus encore: une fois la lecture entamée, on se retrouve vite face à des entités au centre de tout et dont on ne sait rien. Les narrateurs eux-mêmes ne savent pas. Ce n'est ni physique ni abstrait, ni vivant ni mort, ça n'a aucun état et tous en même temps, c'est doué d'intelligence mais pas tout le temps, et les les choix possibles qu'on imagine l'autrice se poser donne envie de la suivre. On se retrouve à faire des parallèles avec d'autres auteurs, avec d'autres univers, à rejoindre les propos d'Alexandre Astier dans L'Exoconférence lorsqu'il se disait que les formes de vie extra-terrestres existent sans doute mais qu'on s'en fout, on ne pourra jamais se rencontrer, sans doute. Avec les écrits et idées d'Arthur C. Clarke, aussi, qui imaginait des formes de vie suffisamment différentes de nôtres pour qu'on ne puisse pas les détecter tant leur nature dépasse notre entendement; avec le jeu vidéo No Man's Sky et son approche de l'exploration spatiale perdue entre le trop-plein de technologie et l'étape nécessaire de la survie qui induit, de fait, une précarité latente. 

Les employés, c'est riche, donc. C'est très riche mais le récit tire de lui même vers le très pauvre. Les personnages qui s'occupent, gèrent, gardent, cherchent, entretiennent, les objets ou les nourrissent, parfois, ne savent pas forcément non plus grand-chose de la nature de leur protégés et de leurs fonctions (pas plus de celle des objets que de leurs, à eux) ni de leur travail, confié par une hiérarchie dont on ignore tout mais qui semble autoritaire, fermée et puissante jusqu'à verser dans un absolutisme de classe.
Le recours à l'absence de repère est donc recherché et sert le texte. Hélas, pourtant, il le dessert très vite. Les chapitres sont lapidaires très ou trop concis et inégaux et leur enchainement n'incite pas toujours à continuer. On ne peut pas se permettre d'en sauter, de peur de liuper des infos importantes qui ne viennent jamais. On ne sait jamais qui parle et de quoi, ni qui est qui, ni rien. Il faut accepter de lire sans rien comprendre, mais ce procédé a ses limites et devient lancinant et handicapant lorsqu'on passe les cinquante ou soixante-dix pages. Pour le formuler de manière plus brutale, on n'avance jamais et on se frustre. Certes, il y a un moment où le texte démarre enfin et décolle comme attendu, on le sait depuis qu'on commence sa lecture, mais le besoin en ressources intellos et chronos finit par être trop important pour trop peu de rendu. Ce que tu donnes au texte pour le connaître, il ne te le rend pas, et tu finis par avoir l'impression d'être venu à un rencard où l'autre ne parle pas.

L'idée d'Olga Ravn est pourtant hyper riche et intéressante et ne figure pas au catalogue de La Peuplade qui veut. Il y a forcément quelque chose dans ce texte, mais j'aurais l'impression d'être hypocrite si je vous demande d'être plus courageux que moi en vous demandant d'aller plus loin que moi et de marcher jusque là où je ne suis pas allé. Mais si je peux vous le demander, je vous le demande. Mais à demis-mots, parce que j'ai moi-même lâché l'affaire. Mais bon, ce n'est pas parce que ça n'a pas marché avec moi que ca ne marchera pas avec vous. C'est ce qui fait tout le sel de l'écrasante masse du lectorat mondial: elle est mouvante, tentaculaire, plurielle, multiforme et on en fait tous partie.

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