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La Confrérie des Libraires Extraordinaires
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11 juin 2010

Mes amis

amis

 Il va falloir que je me rende à l’évidence : parler de Mes amis va m’être très difficile*. Non pas que j’en ai abandonné la lecture, bien au contraire, ni que le roman ne m’est pas plu ou qu’il m’ait paru trop compliqué, loin de là, et je vais même dire, en prenant le soin tout particulier de peser mes mots, que de ce que j’ai pu en apercevoir et en lire, Emmanuel Bove figure, de mon point de vue, parmi les plus grand auteurs français du XXe siècle. Carrément.

 

Je ne vais pas non plus pitcher Mes amis, ce n’est tout bonnement pas le genre de livre qui se raconte et j’irai même jusqu’à dire que l’histoire en elle-même reste assez en retrait bien qu’elle soit servie par une précision chirurgicale qui elle-même serait parfaitement superflue si elle ne servait rien. C’est aussi vrai que tordu, j’en conviens.

N’allez pas dire, parce que je ne veux pas entendre cet argument qui serait, en plus, injustifié, que les auteurs qui parlent d’eux et qui se lancent dans des autobiographies sont chiants (ce qui est tout à fait vrai, qu’on parle de Rousseau, Vallès ou Sartre, les livres destinés à être des autotribunes autodonnées par eux même pour s’autoexprimés ont moi aussi une tendance à me gonfler), parce que Mes amis n’est pas du tout une bio. Il s’agit d’une pure fiction dont le titre éclipse Bove au profit du personnage qu’il a crée. On peut même aller jusqu’à dire qu’Emmanuel Bove laisse tellement de place à son personnage que ledit personnage en arrive à habiter tellement le roman en question qu’il le rend suffisamment vivant pour s’octroyer une place dans la réalité.

Parce qu’à bien y regarder, le réalisme de Bove est tellement bien monté, tellement juste et tellement nourri par des petites remarques qui décrivent le quotidien (de l’époque, certes, mais c’est aussi là qu’on voit qu’il y a un paquet de similitudes entres les années 1920 et les années 2010, mais j’y reviendrait plus tard, il me parait important de m’attarder là-dessus). Pour vous donner un repère, Beckett himself vantait la manière qu’avait Bove de planter un décor, et effectivement, il décrit tout parfaitement et arrive à donner sur tous les ressentis de son personnage et sur tous les ressentis de l’absolu (auquel Bâton Victor, c’est son nom, n’échappe évidemment pas) que les plages de descriptions, si chiantes sont-elles chez un paquet d’auteurs, s’intègrent chez Bove parfaitement et donnent l’impression de couler sans accroc.

 

Je parlais de repère tout à l’heure, et comme promis, j’y reviens, parce que ca, c’est fantastique.

On peut certes taxer l’auteur d’employer un nombre conséquent de comparaisons, mais à bien y regarder, tous les points de repères qu’il donne font aussi bien mouche maintenant qu’il y a quatre vingt dix ans. J’entends par là qu’à décrire une action anodine, on cerne mal l’importance qu’elle peut avoir en fonction de la manière dont le personnage la perçoit, et par cinq ou six mots, rarement plus, Bove arrive à trouver une proposition qui s’avère finalement être le parfait synonyme de ce qu’il cherche à faire passer ; une description d’un détail que peu de personnes, romancier ou non, décèle et donne un sens. Et c’est cette justesse nous force à interrompre notre lecture un bref instant pour nous dire que wow, il a raison.

Pour autant, je reconnais que certains passages ont vieilli, que certains métiers dont il parle n’existent plus, certaines habitudes probablement courantes à l’époque sont devenues obsolètes, et je trouve que ca ajoute encore au texte, que ca lui donne plus de cachet qu’il n’en a déjà.

 

Ne nous trompons pour autant pas, tout ce que je viens de vous dire ne représente pas tout ce qui me fait dire que dans Mes amis est un récit précis et juste, qui fonctionne sans accroc ni difficulté, qui, malgré le style minimaliste (et faire passer autant de choses avec un style sans fioritures, c’est grandiose) peut faire passer Emmanuel Bove pour un auteur discret, qui arrive sur la pointe des pieds et ne fait pas trop parler de lui et qui pour autant arrive à avoir le mot juste et une vision juste elle aussi qui, d’une part, me le fait classer au niveau de Tchékhov (par ces qualités, et vous savez bien que j’ai déjà dit de Tchékhov que c’est un des tous meilleurs romanciers que j’ai jamais lu), et d’autre part, donne l’impression d’être un génie modeste. Et ca m’enthousiasme tellement que j’en arrive sans m’en apercevoir à faire des phrases huit lignes.

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Commentaires
A
* du moins, avant que je commence à vous en parler...
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