Avouez, ca fait bien longtemps que je vous ai pas bassinés avec de la jeunesse. Remarquez, ce n'est pas ce que je lis le plus, non pas que je sois englué dans des idées reçues sur ce pan de la production éditoriale, mais mes affinités me portent souvent ailleurs. Et vous savez bien que je ne les contrôle pas trop, mes affinités. Elles font un peu ce qu'elles veulent.
L'avantage, c'est que mes lectures sont pleines de surprises et de virages inattendus. Comme cette allégorie de l'exil forcé, des migrations actuelles et des grandes problématiques sur lesquelles on s'écharpe. C'est assez important, parfois, de ce recentrer sur le coeur du questionnement et sur sa racine, sur le terreau sur lequel tout a poussé. Plutôt que de se triturer violemment l'esprit sur un tas de questions connexes, si on revenait aux gens qui bougent et à notre manière de panser à eux ?
Pour simplifier son propos et l'impreigner de toute la poésie que son père lui à légué, Issa Watanabe a voulu une histoire sans parole et sans homme. Ce sont des animaux, tous différents, qui migrent vers une destinaion indéfinie. Une arche de Noé sans Noé, en somme. Un long cortège qui s'éreinte de page en page, accueillant le seul personnage secondaire du récit, cachée sous sa capuche noire. Un cataclysme jamais mentionné qui les pousse vers ailleurs, leur maigre pécule en poche et leurs vies condensées en une valise. Sans doute, un oeil avisé imaginera les environnementaux comme catalyseurs de la catastrophe qui les pousse vers le vide ou vers ce qu'ils imaginent comme tel.
Le père d'Issa Watanabe, qui n'est pas plus japonais que sa fille (ou en fait si, mais d'origine, mais la famille est péruvienne), était pourvu d'une plume et d'une voix forte au Pérou mais, gélas, sans trop d'écho en France. Uga éditions est bien allé chercher une traduction, mais la somme de ce qu'on trouve ici laisse circonspect. Issa, elle, livre une fresque qui ressemble davantage à un cri, une courte plainte dense et esthétique, assistée à la fois par son pinceau et la voix de son père.
C'est aussi ca, qui fait la force de Migrants. Il n'y a pas qu'un questionnement sur l'environnement ou les migrations actuelles. Il y a un sacré trait qui nourrit l'oeuvre et l'exonère de mots. Parfois, les mots sont inutiles, les cris silencieux et la douleur incolore. C'est cette impression d'exploration de l'émotion par un support autre qu'Issa Watanabe arrive à rendre et à offrir. Il y a quelque chose de tendre, de violent, de dur et sourd qui imprègne non les pages mais l'oeil et l'esprit de celui qui le lit.
Pour peu, on pourrait même dire qu'il n'y a qu'Issa Watanabe pour parler de ces choses-là avec cette finesse.