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Ca vous chauffe, une virée en Normandie ? Parce que moi oui et il parait qu'on y trouve de fameuses accroches pour débuter un article. Et comme celle-ci n'est pas ouf, ca me sera utile. Et puis c'est beau, la Normandie. Même si c'est un peu décevant, Deauville sans Trinrtignant, mais ce n'est pas là que je vous emmène.

Vous connaissez Arromanches ? Je suis sûr que vous avez entendu parler de Gold Beach, page du Débarquement, ou de Mulberry, le port éphémère construits par les alliés déçus de n'avoir pas pris Cherbourg ou Le Havre à temps pour se ravitailler, et bien c'est exactement là. On a pas eu besoin des Américains pour foutre une riche histoire en Normandie. Les Anglais, bon, c'est autre chose, mais quand même.
Mathieu Larnaudie, lui, il y est allé. Il ne rend pas Arromanches trop mal dans ses lignes mais le récit claudique un peu. Je commence en taclant, je sais bien, et j'ai aussi très envie de vous préciser que je me lance comme ça pour vite passer sur ce qui ne va pas, parce qu'il y a aussi d'autres trucs.
Puisque Daniel Pennac parle des droits imprescriptibles du lecteur et qu'y figure le droit de taire l'auteur et de sauter des pages, on passera sur les quelques passages où Mathieu Larnaudie se décrit marchant dans la ville. Certes, il y décrit aussi la ville elle-même mais on est parfois pris en tenaille entre l'envie de lire Arromanches et de sauter l'autofixation de l'auteur. On entend, dans les librairies, énormément de lecteurs arguer que la littérature françaie contemporaine a une tendance maladive à s'autocentrer et à se regarder et on le remarque assez bien dans Limonov d'Emmanuel Carrère, où Carrère, désireux de consacrer un long récit à Edouard Limonov, a finalement pondu un long récit sur Emmanuel Carrère qui enquête sur Edouard Limonov, sur sa manière de le chercher, le voir et d'appréhender ses textes. C'est assez malheureux, mais peut-être n'est-ce pas un défaut de la plume ou des écrits de Carrère mais un travers propres aux auteurs français contemporains qui se rapprocherait sans doute plus du réflexe qu'autre chose: écrire sur un sujet ne suffit pas, il faut écrire sur soi face au sujet, sur l'expérience de son appréhension du sujet, sur sa manière de le voir et sur l'appropriation nécessaire. Le biais exonère une virée trop omnisciente et tout aussi imbue de la narravite non-fiction que les Américains affectionnent avec un investissement parfois fanatique, mais l'approche française de ce genre d'écrit ou de documentaire est parfois lancinante.

Prenons cet ivrogne que Larnaudie décrit non comme un passant ivre ou un spectacle mais comme le spectacle dont il profite. Peut-être est-ce un peu réducteur pour ledit ivrogne. Ou bien ce long passage circonstanciel qui décrit un dîner dans un resto local avec sa femme, qui n'apporte finalement pas grand chose d'essentiel mais se montre lui-même à table. Encore que débouche dans la foulée une scène importante du texte et dans laquelle, malgré son omniprésence, on trouve un tas de détails intéressants et qui charment.

Parce qu'on trouve ça, aussi, en Normandie. La région a su garder un charme qui n'appartient qu'à elle. Le martyr subi pendant la Seconde Guerre balafre la région, certes, mais la région l'utilise comme une force et a réussi à l'intégrer à sa bruine particulière, fine pellicule d'eau sur la peau et tellement différente de la pluie et la bruine; la lumière grise-bleue (et apparemment plus grise-verte vers le Calvados) qu'on vous défie de trouver aussi belle ailleurs, surtout lorsqu'elle baigne la mer; la torpeur qui n'en est plus une puisque le ressac l'atténue et lui offre une nature toute autre, annulant la nature anxieuse et dérangeante pour la muer en élément capital du calme apaisant qu'elle envoie à qui ose se laisser enlacer par elle. Cette côte normande, celle d'Arromanches, est de celles-ci: une grande personne charismatique et douce, à la grandeur passée et pleine de cicatrices encore fraîches mais de laquelle émane une grandeur, une force et un prestige que beaucoup nous envient.

Mathieu Larnaudie n'a pas pu empêcher de s'entrelaçer lui même à Arromanches, ou en tout cas à son récit, jusqu'à exaspérer parfois, mais il nous faut reconnaitre aussi que les passages qui semblent parfois relever de l'autocentrisme servent son texte tout autant qu'il l'handicapent. Peut-être aussi que son choix de s'investir dans le documentaire à moitié social comme peut le faire Strip Tease plus que de de verser dans une partie historique comme un Secrets d'Histoire fait tendre le récit vers une direction imprévue pour le lecteur. Mais avec quelle langue, le fait-il... 
Quoique je m'en veuille un peu de comparer Blockhaus à des émissions de télé. Le parallèle n'est pas superflu mais peut-être un peu réducteur. La langue dévelopée par Larnaudie vaut beaucoup plus que ce que ces émissions peuvent déployer.
Apportons à Mathieu Larnaudie le crédit qui lui revient par son choix de la Normandie. Parce que la Normandie, vous savez, elle a encore beaucoup à revendre.