Un petit opuscule, comme ca, au détour d'une librairie à la gare de Genève. Un petit éditeur suisse, aussi, mais dont j'ai déjà du parler ici il y a longtemps jusqu'à en faire un plus si petit que ça, puisqu'on le connait déjà tous. Guillaume Rihs, aussi, auteur du coin dont le nom me rappelait quelque chose d'un peu lointain avant que je me souvienne l'avoir plusieurs fois installé sur la table devant la fenêtre. Il y avait une table et un café, aussi, mais ça, on s'en fout un peu.
Il est assez amusant, ce petit texte de Guillaume Rihs. Le titre est pas mal trouvé et l'exploration à laquelle vous vous adonnez en le lisant est familier. Il ressemble à l'écho d'un autre texte plus connu, lu il y a quelques années dans des circonstances pas si différentes, quoiqu'il n'y ait peut-être pas eu de gare. Georges Perec (car c'était lui) a épuisé son lieu parisien, statique, en notant tout et n'importe quoi du moment que ca lui passe sous les yeux. Le numéro de la ligne du bus qui passe, l'allure de tel passant, l'âge de tel autre qui attend, une bribe attrapée à la volée, et pour alimenter un compte rendu étoffé et purement factuel. Pas intéressant du tout, au final, mais transcris avec une telle précision qu'il donne corps au vide qu'il offre jusqu'à changer de regard sur le lieu. La vie dont il regorge ne vient pas des êtres de passage qui le compose mais de la raison pour laquelle ils sont là. Si celui qui le fréquente est là pour le lieu, alors le lieu vit de lui-même et à ce titre, étant inanimé bien que regorgant de vie, avait besoin d'un illuminé comme Perec pour lui assurer un moyen d'expression. Il a du se demander, Perec, ce que ca faisait d'être un lieu, même si la question st saugrenue.
Guillaume Rihs enrichit encore la question en se posant la question de la ville. La ville n'étant pas un lieu précis mais un conglomérat d'eux, on peut partir du principe que sa raison d'être est sa diversité, et à ce titre, on se retrouve vite coincé par la question de savoir qui sont les autres. Nous, on se connait, mais les badauds qu'on croise ici et là, et finalement partout, et qui font que la ville est la ville et que telle ville est telle ville, qui c'est ? L'expérience de regarder passer des gens assis en ville est enrichissante mais se limite à l'esthétique, on ne connait que l'accoutrement de celui-ci et des sacs de celle-là. Imaginez qu'on saisisse une bribe de conversation, hors de son contexte et sans envie aucune de l'y placer... Ou bien de pouvoir s'octroyer le droit d'avoir un élément de réponse à la question fréquente et vertigineuse de savoir pourquoi tel inconnu croisé au hasard d'on-ne-sait-pas-quoi a l'air renfrogné, porte un maillot de Fribourg-Gottéron, a les chaussures boueuses ou a l'air débraillé ? La necéssité de l'oral perce alors et quoi de mieux que l'ardeur de Guillaume Rihs pour se lancer dans un exercice de style qu'on pratique tous sans écrire pour autant.
Presque dans la lignée du Dictionnaire des mots rares et précieux, Ville bavarde est un cabinet de curiosités langagier et social, une collection de moments neutres dans la vie d'anonymes. Ces mêmes moments qui ne sont ni agréables ni odieux mais qui font de nous ce qu'on est et qui font de nos congénères ce qu'ils sont. A la Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, Guillaume Rihs ajoute sa motivation zebrée pour ce travail de chineur et retire toute gratuité littéraire. Ces courts chapitres qui ponctuent les retranscriptions de dialogues de tableaux de Hopper manquent peut-être (lire: sûrement) de qualité littéraire et auraient gagné à être plus corpulents mais le sens qu'il souhaite donner est exprimé comme il faut et passe bien. C'est ce contenu là qui donne force au texte dans son ensemble, aux pastilles fugaces qu'il nous donne et au pièces du puzzle qu'il découpe scène après scène.
Toute la force de son texte réside justement dans la méthode qu'il a choisi, loin de celle de Perec en se déplacant dans son sujet d'étude. Le cercle élargi, l'entité devenue plus tentaculaire, il ne s'agit plus d'être le lieu mais d'en être un des multiples composants, e à ce titre, de se comporter comme tel. Pour pouvoir apprécier et retranscrire une scène si coincée dans son instant, pour pouvoir figer une scène par deux inconnus, il faut en être un soi même et se retirer de son sujet comme il a su le faire. Gatsby est grand parce que son narrateur n'agit jamais, et Ville bavarde fonctionne parfaitement parce que Guillaume Rihs n'est pas.
Guillaume Rihs est juste là.