La femme plurielle
Vous allez voir passer, bientôt… Oui, je vous interromps dans vos activités, mais c’est pour la bonne cause. Donc, disais-je avant d’être assez grossièrement interrompu par moi-même, vous allez bientôt voir passer sur les tables de vos libraires préférés un gamin dans une télé vide, et la curiosité qui vous caractérise vous poussera à vous penser dessus. Sur la télé.
Le gamin qui y est réfugié et qui scrute ardemment un détail hors champ n’est pas Maryam Madjidi. Maryam, qui me pardonnera de la nommer si cavalièrement en me contentant de son prénom alors que je ne la connais pas, est maintenant adulte et s’est construite, entre autre et/mais comme tout le monde, pendant son enfance, zébrée très tôt par un départ de Téhéran vers Paris sans billet de retour.
Et je sais que vous vous interrogez en vous disant que je vous refile le récit fragmentaire écrit en francais d’une jeune femme née à l’étranger et vivant en France et dissertant de son enfance émaillée de mouvement et d’évènements forcément sympas que nos enfants n’apprennent pas vraiment dans les livres d’histoire bien qu’ils y soient mentionnés. Ou alors, vos enfants sont de bons élèves, mais ca, je sais pas, je les connais pas.
Néanmoins, entre Les cosmonautes de font que passer et Marx et la poupée, on dénote quelques détails différents au milieux des points communs évidents.
La poésie de Maryam est beaucoup plus dure, abrupt dans son propos et dépourvue de la tendresse qu’Elitza faisait passer dans son texte. Quand l’une grandissait dans le malaise du communisme, l’autre se construisait dans un exil décidé par ses parents autant pour se protéger de la révolution que pour rester fidèles à leurs idées et le volonté d’avoir le droit de parler. Du coup, forcément, Maryam a grandi entre deux chaises sans savoir sur laquelle s’asseoir, une enfant ne pouvant pas imaginer la polyvalence de deux fesses pour deux chaises. Le choix permanent entre les racines et l’intégration est assez souvent remis sur le tapis chez nous, mais reconnaissons le, généralement par ceux qui parlent le plus fort et qui n’ont généralement jamais été confronté au problème, d’où la nécessité du cri de Maryam Madjidi.
Toutes les parties, fragments et formes choisies sont lourdes de sens, autant lors de sa petite enfance à Téhéran que lors de son arrivée en France ou à son âge adulte. Chaque élément du texte est charnière mais dépourvu de tout autocentrisme, comme si parler d’elle était un biais pour parler de tout enfant exilé perdu ici. Il ne s’agit, par sa voix, pas seulement d’elle mais de la masse de ceux qui étaient et sont, maintenant, dans sa position.*
Même si le récit est engagé et par ce trait de caractère, utile aux thèmes qu’il aborde, on notera des fréquents changements de rythme et de notes, comme un parallèle à la trajectoire de Maryam, posant au matériau des bases rendues solides par leurs variétés. Ne vous fiez jamais, les copains, à la forme de ce que vous lisez. La poésie de ses premières pages est belle et redoutablement écrite, la narration des suivantes, plus orale parfois mais pas que, plus polymorphe en tout cas, est lancée par la puissance du propos. Même si le rythme est parfois freiné brusquement par une autre idée intercalée dans le développement de la première, même si parfois la prose ou les vers coupent le romanesque, même s’il arrive que les paragraphes n’entrent pas tous en interaction, on reconnait finalement, dans le silence qui suit sa lecture, que le texte que Maryam nous livre accroche et retient.
Lorsque le texte d’Elitza coule tout seule dans sa douceur et son linéaire, celui de Maryam accroche, nous ramène en arrière, sur les côtés, sur une échelle parallèle et nous remet un peu plus loin sur le chemin où il nous a pris. Les deux textes en apparence si proches nous bousculent différemment, à tel point qu’on en préfèrera aucun malgré l’écho qu’ils se renvoient.
Les deux traitent de l’enfance, de l’identité, de la (trop) grande histoire vécue trop tôt, d’évenements majeurs dont on peine ici à concevoir l’impact sur les enfants tant on a perdu l’habitude d’en vivre. L’histoire nous dira quand elle aura deux minutes si la richesse de ces générations ne s’acquiert pas au détriment de leur bien être et de leur tranquillité. Quoiqu’il en soit, la collision de l’histoire et du quotidien, quelle qu’en soit l’âge et la période, amène finalement de biens forts écrits.