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Maintenant que je suis revenu de mon périple improbable qui trimballé en Colombie, au Chili, au Tibet, en Russie, en Hongrie et qui m'a même permis un crochet vers le canton de Berne, je me colle sous votre pif, à nouveau, avec un texte dont il faut que je vous parle. Si vous vous demandez pourquoi (parce que vous vous le demandez, je vous connais comme si je vous avais fait), je ne saurais trop vous conseiller de m'écouter.

Cependant (adverbe que je n'ai plus utilisé depuis le lycée, voire le collège) je me dois de vous préciser que L'origine du monde est épuisé depuis un paquet de temps. Je vise plutôt votre périgrination vers les étals d'une librairie d'occas qui vous le colle entre les mains. Si vous y voyez L'origine du monde, chopez le.
Ce petit roman est épuisé, donc. Ce petit roman date un peu, fixons sa publication par Les Allusifs à une dizaine d'années, à l'époque du Jour des Corneilles et des choix de Brigitte Bouchard.

Il faut vous imaginer un Paris récent et la communauté latino truffée d'anciens beaux mecs et d'anciennes jolies filles, cette frange hispano arrivée il y a trente ans, casquette étoile rouge vissée sur la caboche et qui ont petit à petit vu leur idéologie communiste s'étioler jusqu'à ce que tous se demandent ce qu'il en restent. Tous ont fait carrière à Paris, dont ce couple de médecin et d'artiste, et ce journaliste dandy dont je vais vous causer.
Le dit journaliste s'articule autour du whisky, des panamas, des costards clairs et des terrasses de café. Il est toujours bien sapé et est lancé à corps perdu dans la gente féminine jusqu'à en être un redoutable rival pour quiconque drague à tout bout de champ. Son pote médecin, plus cartésien, moins virevoltant, éprouve un attachement fort, voire carrément sacré, à leur amitié. Je vous l'accorde, on se demande parfois si leur relation ne se structure pas autour d'un jeu d'attraction-répulsion dont on ne sait jamais si elle tient cette amitié ou la menace.
Le narrateur, c'est le médecin. L'homme est à la retraite, se laisse vivre dans Paris dont il profite quotidiennement en arpantant le Marais. On peut même se demander si le besoin de cet homme à nous parler de lui et de son rapport à son pote n'est pas une excuse ou un biais parfait pour ne parler que de son pote dandy qui lui provoque autant de méfiance que d'admiration. Le fait est qu'on ne sait même pas s'il parle de son pote ou de cet épisode étrange où il retrouve chez lui la photo d'un entrejambe féminin sur lequel il croit reconnaître sa femme. La secousse le laisse un genou à terre, ne sachant demander ni à l'un ni à l'autre si leurs chairs se sont mêlées.

Sans doute êtes vous en train de vous dire que je me ramène avec un texte chiant et que les paragraphes précédents résument longuement une histoire plus simple qu'il n'y parait. Il me faut vous le clamer, quitte à ce que ce soit en musique: zobi.

On note deux virtuosités majeures à L'ogirine du monde.
D'abord, la précision chirurgicale des descriptions et des évolutions des états d'âmes des uns et des personnages des autres. Tous sont complexes, dépeinds avec le mot juste, complets et tous rythmés. On arrive même, à la lecture de certaines pages, à comprendre le septuagénaire qui parle avec nos yeus de trentenaire. On saisit parfaitement son désarroi, ses réactions, ses raisonnements et la dichotomie ambulante qu'il s'avère être, maltraitant son esprit cartésien, structuré et vif par des glissades contrôlées dans de larges improvisations.
Qu'il s'agisse d'un personnage ou d'un autre, on remarque les similitudes, on se demande si le noyau du roman se trouve dans l'histoire de draps supposée ou dans l'histoire d'amitié entre la blouse blanche et le panama. On se dit que le roman noue les deux pour explorer des axes de l'amitié que la littérature et les autres canaux culturels rechignent à exposer. On relève le travail d'orfèvre qui trouve systématiquement le mot juste, la phrase juste, l'idée juste qui précise la précédente sans la paraphraser ou l'alourdir; ce boulot qui cisèle les personnages au détail près, ce qui les changent du tout au tout selon la lecture qu'on en fait et ce qu'on en relève, et c'est justement ca qui met la deuxième virtuosité en relief.

La deuxième dont je veux vous parler, la deuxième que je relève va certainement vous paraître commune ou simple, mais est suffisamment rare pour qu'on se doivent de la souigner lorsqu'on la rencontre au détour d'un texte.
Il se trouve que L'origine du monde redresse le lecteur. Une fois la lecture achevée et le coup de tatane recu en travers de la gueule, la seule manière de profiter du texte comme il le mérite réside dans la nécéssité d'en parler avec un autre lecteur qui est passé par le même chemin. N'importe qui qui l'aurait lu comme vous, aurait percu la précision chirurgicale, aurait relevé certains détails que votre attention n'aurait pas retenus et modifierait un peu votre perception d'un personnage, donc de sa réaction, donc des conséquences, donc des réactions qui suivent jusqu'à changer complètement votre perception du roman, sans pour autant qu'elle soit complètement contraire à celle que vous avez imprimé sur votre rétine.

En vérité, en vérité, les mecs et les meufs, je vous le dis: c'est là ma lecture de l'année. Certes, elle date de janvier, certes l'année n'avait alors pas commencé depuis longtemps, mais vousconnaissez le phénomène aussi bien que moi: il y a des lectures qui vous ratatine complètement jusqu'à s'affirmer d'elles-même comme une des meilleures. Une des meilleures danx l'absolu, je veux dire.
Il est important de garder la tête froide et de jouir d'un certain recul quand on dit ca, mais je vous le dis. Cash.