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La Confrérie des Libraires Extraordinaires
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14 juin 2014

Les pieds dans le tapis

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De temps en temps, le foot ressurgit. Comme tous les quatre ans, dès que Coupe du Monde il y a, une ruée vers le texte de footeux provoque des courants d'air. Et comme d'habitude, il y en a toujours un qui échoit entre mes pognes et dont je peux m'empêcher de vous parler un instant.

Autant chez Pierre-Louis Basse et l'histoire du Dynamo Kiev pendant la Guerre ou chez Bernard Chambaz et sa ballade lyrique sur Robert Enke, on avait quelque chose à se mettre sous la dent, autant avec Louis Dumoulin et son appétissante uchronie, on soupire.
Une uchronie, pour rappel, est une réécriture de l'histoire exploitant pour postulat de base l'issue inversée d'un évenement, comme le Parij d'Eric Faye replacant une intrigue dans un monde changé par une poussée russe, pendant la Guerre, jusqu'à Paris et un rideau de fer à travers la France. Louis Dumoulin est plus léger et n'entend pas non plus réécrire le vingtième siècle, partant du la divergence du match qui devait qualifier l'équipe de France pour le Mondial 1994. Kostadinov n'a pas joué, n'a pas marqué à dix secondes de la fin, la France à gagné et est allée disputer la compétition suprême aux Etats-Unis.

Il y a un premier détail qui choque. Regardez l'épaisseur du bouquin. Oui, ben, faites comme si vous l'aviez. Vous tenez là à peine cent pages, avec une quatrième de couverture qui parle du texte en exploitant presque toutes les surprises qu'il réserve. Cantona a cartonné, est devenu l'icône, la France avait trouvé son joueur et Zidane, de facto, est devenu commun. Quelques années après, Gourcuff s'est ramené et a trouvé la place de Dieu que la France s'est cherchée après les échecs improbables contenus dans l'intervalle [2004;2010]. Sur la vie de Youri Djorkaeff, je n'en dit pas plus que la quatrième de couverture elle-même.

Pour ce qui est du contenu lui même, on laissera quelques petits surprises qui excluent malheureusement toute âme réfractaire ou indifférente au football. Cantona sélectionneur, les trajectoires de Zidane, Girard, Ginola, Domenech, Tigana ou Henry sont exploitées, mais les oublis de Deschamps, Lemerre, Santini, Denoueix, Coupet, Blanc ou Trézéguet (ou Giuly, ou pleun d'autres) décoivent. Quelques rictus, quand même, quand il s'agit de Ginola, Domenech ou Micoud, mais dont le traitement ici laissent voir des carences gênantes. D'accord, on lit ce qui leur serait arrivé à tous, mais il aurait convenu, alors, de donner du corps au récit, d'être plus crédible et dense sur les raisons de l'ascension de l'un ou l'exclusion de l'autre.
La grande lacune du texte est là, finalement: on se retrouve face à une énumération assez pauvre des compétitions et des performances imaginées par Louis Dumoulin sous l'égide d'un grand si. Dumoulin a probablement les bonnes idées, mais ne les énonce pas, ne les traite pas et se contente de quelques infos factuelles. Dans tel Euro, on serait arrivé à tel stade avec tel joueur, et tel autre qui marque, mais sur tel match, on est éliminé de telle manière, et on passe au chapitre suivant qui traite de la Coupe du Monde consécutive de la même manière que n'importe quel autre chapitre. Alors, tu peux bien sauter quelques chapitres, une poignée de pages sur cent à peine, et courir d'un coup de Bernard Lama à Hugo Lloris sans forcément louper beaucoup de matière, même si tu loupes la moitié du texte.
Alors tu fermes le bouquin déçu, avec l'envie de faire une uchronie toi même. Et si ce n'était pas Louis Dumoulin qui avait été appelé, mais toi ? Et tu pars en conjectures, tu aurais sans doute qualifié ou éliminé la France aux mêmes moments que lui, mais tu aurais insisté sur le climat autour de l'équipe, les nominations d'entraîneur, la communication autour de l'équipe, l'ambiance dans les moments sportivement moins riches (voir même des matchs pourris que même dans la vraie vie tu n'as pas daigné regarder), tu aurais placé des moments clés là où rien de les aurait naturellement disposé (un France-Nigeria inutile mais perdu qui aurait du marquer le début d'une prise de conscience), une partie d'inconnu (la Coupe de Monde 1994 qui fait naitre une passion chez un petit gamin, finalement capitaine de l'équipe qui officia en 2010), une hasard complet (quelques joueurs doubles-nationaux qui choisissent de jouer pour l'équipe de France plutôt que pour celle du Mali, Eden Hazard est finalement né en France et préfère jouer pour les Bleus).

Oui, d'accord. L'uchronie de Louis Dumoulin a une qualité, elle te fait rêver à un texte meilleur que tu n'écriras jamais mais qui t'auras ravi en imaginant la richesse qu'il aurait pu avoir, ou si tu es vraiment un mordu, qui t'aura ravi en imaginant une histoire différente. Mais qualitativement autre que celle que tu as lu.

dumoulin

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