Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Confrérie des Libraires Extraordinaires
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
4 octobre 2012

Ici est celui qui irisera l'étal

14_echenozVous remarquerez que sur ce coup-ci, je suis presque synchro avec le calendrier de la rentrée. 14 est paru ce matin et je me suis démerdé pour pouvoir vous pondre une note dessus le soir même, en ayant réussi à laisser le temps au texte d'infuser. Pour le reste, j'en conviens, j'ai laissé de côté ma ligne de conduite avec laquelle je vous bassine en vous rabâchant que le blockbuster n'a pas besoin du libraire pour se diffuser parmi le public. Mais là, il y a de quoi s'incliner.


Et si le premier texte que j'ai lu de lui, selon les dires de tous, n'était pas représentatif de ses pontes habituelles, 14 l'est certainement plus. On le trouve là dessus, le Echenoz qui lui a permis de se forger une telle réputation et un lectorat aussi large. On m'avait parlé d'écriture épurée, et alors que je me figurais du rachitique, 14 relève plus du mot juste. Comme quoi, épuré ne convient pas et il faut comprendre simple (au moins dans ce qu'il parait).
Le juste ou le simple, le choix des mots et des images qui ciblent parfaitement le message à faire passer, et surtout, en ce qui concerne 14, la superposition de la Première Guerre et la vision desabusée, presque stoïque, qu'on a maintenant quand on la regarde. Dans l'écriture, j'entends, ca c'est là une des grande force d'Echenoz: arriver à faire passer un message dans le fond et un message dans la forme. Dire quelque chose dans le contenu et autre chose dans la manière de le dire, comme un double discours au sein d'une seule entité.

L'écriture en décalage avec ce dont elle traite, donc. Ce matériau dont l'homme a complètement déconnecté depuis lors, s'efforcant et s'échinant à le garder en mémoire et à entretenir le souvenir sans pour autant parvenir à le comprendre, bien qu'il ait été fondateur du monde dans lequel il vit. On y trouve, chez Echenoz, quelques petits sursauts dans l'écriture, comme des bouffées d'oxygène dans le récit qu'il livre, quelques remarques pour lui même et pour nous qui sortent de la trame pour nous y ramener aussitôt, quelques surprises qui jaillissent au détour d'une virgule qui nous secouent comme pour nous rassurer. Des petits cadeaux, en somme, des bonbons à sucer ou croquer pendant la lecture du chapitre suivant.

Pour ce qui est des personnages, on reste dans quelque chose d'assez basique, 14 s'intéresse plus à la guerre qui débaroule sans prévenir dans toutes les vies possibles et imaginables dans le pays et éloigne quelqu'un de la vie et de la trajectoire qu'il aurait du avoir et des trajectoires des autres elles aussi changées, plus indirectement, cette fois.
Et plus que ca, cette situation politique et diplomatique d'abord qu'on emballe volontairement jusqu'à ne plus rien contrôler, ni son armée, ni ce qu'on en fait, ni ce qu'elle fait. Tout qui se grise d'abord, puis qui perd toute teinte en les prenant trop et en les gerbant toutes.
Et ce qu'on fait du pays à l'arrière, où l'absence de tous pèse jusqu'à dérégler tous ces coins tranquilles pourtant loin des obus. Voir même, ces coins tranquilles déréglés par l'absence de tous et imperméables à tout retour à la normale, malgré les retours de certains manquants.
On pourrait en faire, ces petits paragraphes, comme ceux que je viens de vous pondre, pour présenter le texte, mais Jean Echenoz est arrivé, par le biais de 14, à représenter au sein d'un seul texte toutes les directions incontrôlables qu'a pris le monde lui même, la société, la guerre, la diplomatie, l'armée, l'économie, la technologie, la justice et absolument tout pendant cette période trouble. Echenoz a réussi à représenter toutes ces dérives, ces bouleversements dans tous les domaines qui ont sorti l'homme du XIXe pour le faire rentrer de plein pied et brutalement dans l'étape suivante. Il y a tout eu, tout a changé et Jean Echenoz, dans une petite fresque à tous fait tenir.
Mieux encore, les silences et les points mentionnés mais pas forcément developpés autant qu'il le devraient, Echenoz arrive à nous amener vers eux et à nous pousser dedans. Il arrive, et c'est là preuve de noblesse littéraire, à nous emmener vers les livres d'histoire et vers les documents dont on dispose sur cette période durant laquelle l'homme est sorti de lui même, le temps est sorti du temps et la raison de la raison.

 

C'est là la grande force de 14, en plus de ravir sur le plan littéraire tout lecteur à son quotidien, le temps d'une soirée, il arrive aussi à nous élever et nous emmener vers d'autres textes, vers l'histoire, et à nous intéresser à un domaine large et vaste vers lequel on ne serait pas forcément allé naturellement. Donc, vous pouvez vous ruer dessus.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité