Il vous faut aller dans le coin du Palais Royal

Débarrassons nous tout de suite des précisions terre à terre: 155 rue Saint-Honoré, Paris 1er; métro Palais Royal ou Les Halles (mais le premier est plus proche, quand même...).

Pour ceux qui affichent déjà un sourire en coin depuis la lecture de l'adresse, leur préciser que je vais vous parler de la librairie Delamain est inutile. Pour les autres aussi puisque quoiqu'il arrive, tout le monde a lu la phrase précédente, même s'ils se posent toutefois la question de savoir pourquoi je me la ramène avec Delamain.
D'abord, quand on rentre, tout de suite, on est bien. Imaginez des étagères en bois ocre, là depuis longtemps et qui tiennent toujours avec vigueur, toujours bien entretenues sur qui le temps a semblé glisser avec suffisamment de tendresse pour ne pas les balafrer; une lumière chaleureuse et qui se réfère à celle d'un matin d'été ou de la fin du printemps. On voit tout ca du trottoir, et déjà, ca donne envie de rentrer. La devanture elle-même est surement bichonnée, elle a gardé avec ferveur son aspect vielliot, ses boiseries régulièrement requinquées à la peinture verte, sa vitrine haute qui vous donne l'impression d'un foisonnement de livres. Pas celui d'une librairie dans laquelle se cache un libraire réfractaire au rangement et qui entasse tout et attend qu'on vienne lui demander un bouquin qu'il sera le seul à retrouver mais celui qui véhicule l'envie du libraire de montrer toutes les belles choses dont regorge les bouquins.

Avancez maintenant à l'intérieur. Sur la droite, après le comptoir, les bibliophiles peuvent être lâchés sans risque de s'emmerder et c'est là que vous constaterez que très peu de librairies générales de livre neufs peuvent proposer un tel rayon de livres anciens sans être ridicules.
A gauche, un rayon de littérature assez riche. D'autres, avec le même espace, se serait contentés de mettre un fond aseptisés en restant persuadés qu'ils donnent du cachet à leur librairie. Delamain a tapissé ses murs de bouquins, sur bien trois mètres. De l'exposition partout, du fond ordonné et choisi sur le volet, et là encore, je vais faire mon cake sur les meubles qui confèrent à la librairie en général l'ambiance chaleureuse qui vous donne envie de rester. On découvre partout des recoins, des morceaux d'étagères différemment agencés que ceux du fond mais qui donnent plus l'impression d'avoir été modifiés pour les bouquins plus que par souci terre à terre, et du coup, dans son ensemble, on s'apercoit que les biscornuités s'accordent parfaitement au fond et aux choix des libraires: il y a toujours un rayon qui rentre pile poil dans un renfoncement ou par une étagère d'angle.

Du point de vue du libraire, on a l'impression de voir le résultat d'un travail réglé au poil et qui donne un résultat harmonieux, comme lorsqu'on ressent le plaisir de voir une pièce de théâtre dans laquelle les comédiens qui excellent se sont trouvés et ont pu se calquer sur l'autre, être synchros, justes et donner du rythme au tout. Le fond est varié et n'est pas de la merde, les facings, les tranches semblent calculés pour remplir parfaitement le rayon sans subir une affluence trop gênante et qui finira par abimer les livres et ne pas rendre les rayonnages agréables à voir ou à gérer; sur les tables, qui ne donnent pas non plus l'impression étouffante que donnent celles surchargées ni celle de vide à la vue d'autres pas assez remplies, mon admiration, peut-être naïve, va jusqu'à remarquer l'emplacement des piles et ce que j'aurais bien aimé faire dans la mienne, de librairie, si des détails techniques rébarbatifs ne m'en empêchaient pas.

Du coup, Delamain, c'est beau. Pour les yeux, c'est beau. Dans les bouquins dedans, jusqu'à l'ambiance générale et en passant par l'implantation et jusqu'à la manière de présenter le bouquin le plus insignifiant ou un bon mais pas très bien placé (la faute à l'emplacement rayon et l'ordre alphabétique) laisse pantois. Et on en arrive même à se dire, tant on peut s'extasier sur ce qu'on voit, qu'il y a un énorme vice caché quelque part, c'est pas possible d'avoir un résultat aussi harmonieux. J'avoue que je suis peut-être un peu jaloux...

Comments

[Emmanuel]

Très bel article,
C'est toujours un plaisir de lire que la librairie où je travaille charme toujours autant.

Ps : Attention de ne pas confondre la droite et la gauche ;)