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La Confrérie des Libraires Extraordinaires
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23 octobre 2010

Fables

fablesAh, on va pas être copains, là. Je vous vois déjà froncer les sourcils et arborer une mine circonspecte qui va nécessiter une explication de cette première phrase.

Tout d'abord, Marie de France, c'est qui ? Pour être tout à fait honnête, on n'en sait rien. On la sait vivant en Angleterre et probablement à la cour d'Henri II et Aliénor d'Aquitaine. On sait que c'est là première femme de lettres d'expression francaise que l'on connaisse et elle doit son nom à la manière dont elle se présentait: « Marie ai num, si sui de France », (J'ai pour nom Marie et je suis de France). Les spécialistes la pensent abbesse à Reading.
Son oeuvre la plus connue (en même temps, on ne lui en connait que deux), ce sont les Lais, écrits en vers et illustrant avec emphase l'amour et la chevalerie. Et outre ces Lais, il y a aussi les Fables, sur le même manuscrit mais situées avant. C'est de celles-ci dont je vais vous parler et plus précisément de la malheureuse traduction de Francoise Morvan pour Actes Sud.


Du point de vu du contenu, pas grand chose à dire: les fables viennent d'Esope et seront reprise un paquet de siècles plus tard par La Fontaine. La traduction, en revanche, est énervante.
Evidemment, elle est issue de l'ancien français et c'est précisément dans ces cas là que la traduction prend tout son sens. Il ne s'agit pas de traduire d'une langue à une autre comme Francoise Morvan peut le faire d'habitude depuis l'anglais ou le russe, fussent des textes d'auteurs classiques comme Shakespeare, Synge, Tchékhov ou Dostoievski. Il s'agit d'adapter le Moyen Age, sa langue et sa culture à quelque chose d'accessible maintenant, de tenir compte des évolution de la langue de siècle en siècle plus que de s'occuper de mots équivalents d'une langue à une autre. C'est là, disons le tout net, plus un travail pour lequel les linguistes ou les philologues sont aptes et qui ne sied pas du tout à des traducteurs plus classiques comme peut l'être Francoise Morvan.

D'autant plus que jusque dans la préface, on ne sent pas la qualité du texte. Elle se contente de confesser avoir découpé elle même le texte (en précisant que Marie de France ne l'avait pas fait) et d'avoir rajouté une ponctuation (que Marie de France n'avait pas non plus). On sort là même de la traduction pour être plus dans un travail de réécriture assez peu honnête. On se rend même compte, par ce biais, de l'importance de la ponctuation dans un texte, de ce qu'il agence et de son influence sur le tout. Le traducteur n'a donc pas à intervenir dessus sous peine de devenir l'auteur d'un manuscrit qu'il n'a pas écrit.
Quand à ses choix, et à son travail de transposition et d'équivalence des mots dont je parlais plus haut, elle ne s'en cache pas et avoue, là encore dans la préface, qu'elle a retrouvé plusieurs fois le même mot et qu'elle a choisi de le traduire de différentes manières, qu'elle donne d'ailleurs en indiquant les occurrences au différents endroits du manuscrit qu'elle a d'autorité transformé en recueil, mais sans pour autant expliquer ses choix.
Sur ce point là, le passage d'un manuscrit compact en recueil, on est là aussi légitimement en droit de se mécontenter. Même si son travail approximatif et autoritaire (même si ce dernier mot est mal choisi, mais je suis sur qu'on se comprend) a au moins le mérite d'éveiller à la linguistique pour se rendre compte de la qualité du tout, rendons nous bien compte que le travail du traducteur philologue est d'adapter la langue et non le contenu ni la forme. Certes ils sont différents des modèles littéraires de notre époque, mais tout ce qui touche au médiéval n'a de valeur que lorsqu'il en garde les traits sous peine de devenir insignifiant. On ne verra, par exemple, j'espère jamais un traducteur du français vers une autre version de notre langue réécrire Racine en découpant les scènes différemment ou en supprimant les actes sous prétexte que dans son époque future, on ne fait plus comme ca.

Tout ca pour dire qu'au fond, on lui a même peut-être demandé de s'en occuper comme ca, et on reste aussi sur la désagréable impression qu'on lui a demandé d'apprendre l'ancien francais pour cette traduction plutôt que de la lui confier pour des compétences de philologie et des accointances avec l'histoire médiévale.

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