Mes illusions donnent sur la cour
Le premier bouquin qu'on m'a demandé le jour où je suis revenu de mes vacances bien méritées, c'était Mes illusions donnent sur la cour. Le deuxième, aussi. Vous comprendrez bien que ca a attisé ma curiosité. Sans aide informatique, je pense que je n'aurais jamais trouvé le bouquin, et soit dit entre nous, ca n'aurait pas été une perte.
Mes illusions donnent sur la cour n'a pas besoin de pitch particulier. Sacha Sperling, l'auteur, probablement édité parce qu'il est le fils d'Alexandre Arcady et Diane Kurys, tout deux réalisateurs pas forcément mauvais lorsqu'ils s'y mettent, approuvera certainement le pitch suivant et rachitique: Sacha, le personnage principal, est un ado qui va rentrer en troisième et qui se fait chier partout. On peut même rajouter, puisque ca crève les yeux, qu'il est atteint de dépression juvénile.
Le plus dommage est que ladite dépression se ressent dans le récit. On se retrouve plongé dans la peau du prof de francais qui a relevé les copies et qui lit les mauvais récits de ses élèves desquels suintent une certaine non-motivation. "Fait ièch, la prof de francais 'è veut qu'on fasse une rédac, stro nul ! En plus, j'comprends même pas l'sujet !". Il y a de quoi déprimer le prof. Dans le cas présent, il y a de quoi déprimer le lecteur. J'imagine que le meilleur signe de démotivation de l'élève pour une rédac se remarque dans l'anorexie dont ses phrases sont atteintes (ceci dit, j'attends malgré tout l'approbation d'un prof de francais), et c'est exactement ce qu'on retrouve chez Sperling: sujet+verbe+complément et on enchaine avec un point parce que faut pas déconner, ca fait mal au poignet, merde. Voire même, de temps à autre, un enchainement de plusieurs phrases sans complément.
On peut retrouver ce style chez d'autres pourtant, dans quelques polars, les phrases courtes tiennent en haleine; dans tout récit dans lequel le narrateur ne sait pas ce qui va lui arriver, les phrases courtes pullulent et donnent de la vie au récit. La condition sine qua non pour que la phrase courte tienne le récit est encore qu'il y est un récit, des trucsà dire, des évènements à mettre, des rebondissements à apporter. C'est bien ce qui manque. On lit que Sacha va à Disney et fume un joint. Qu'il prend une glace. Qu'il invite un pote. Etc... Il n'y a rien qui puisse justifier une quelconque intrigue.
Les rares sursauts de sa plume, les rares tournures qu'il emploie pour nous sortir de notre torpeur ou de notre apoplexie ne sont pas sans rappeler Florian Zeller, hélas.
Mais je vous vois venir, vous allez me sortir que j'ai vanté Moins que zéro, de Bret Easton Ellis, sur ce même blog, et qu'à bien y regarder, les contenus peuvent se ressembler. Certes.
Dans les deux cas, on se retrouve dans la jeunesse dorée, dans le vide qui la caractérise, dans le manque de profondeur, dans les ragots à deux balles ("Est-ce que Daniel et Blair ont couché ensemble ?", ce qui laisse place de longues réflexions pendant des jours dans une société dépeinte comme un sautoir géant où de toutes facons tous les ados couchent ensemble, quelque soit le sexe), et tout les gadgets qui l'accompagnent d'habitude.
Les différences ne sont pas nombreuses mais évidentes. Sacha Sperling est de cette jeunesse dorée, et son récit donne l'impression d'être une autobiographie, auquel cas, elle est effectivement ratée, allant jusqu'à vanter les problème de la jeunesse dorée ("J'ai eu 8 en maths, je vais me suicider" / "Je dois être chez Lorraine à huit heures, mais je n'ai pas mes Convers aux pieds, je dois repasser chez moi les mettre, je serais en retard, je vais me suicider"). Le point de vue duquel se placait Ellis était externe, complètement distant, comme quoi, quant on parle de ses expériences, c'est toujours mieux avec du recul.
D'autre part, sur la jeunesse dorée en elle même, Ellis était aussi plus efficace. L'idée de dépeindre le vide d'une jeunesse qui n'a aucun sens de la mesure dans un pays qui n'a pas non plus le sens de la mesure donne une impression d'hyperbole permanente, d'éxagération constante qui justement, fait tout dans Moins que zéro. Serling tente de prendre le filon d'Ellis (ce qui n'est pas forcément une idée à laisser en plan) mais prend le même cadre dans un pays plutôt normal, dans lequel le pognon n'est pas une jungle, ni l'expression de l'anarchie, ni poussée à son paroxysme comme c'est le cas aux Etats-Unis.
Le plus étrange, dans tout ca, réside surtout dans l'accueil dithyrambique que lui ont réservé les critiques. Il ne faut pas craindre, à mon sens, de s'engueuler avec Diane Kurys en disant honnêtement que le bouquin de son fils ne pèse pas lourd dans le paysage littéraire, qualitativement, j'entends. Evidemment, économiquement, ca se vend. Non pas que j'espère ne pas vendre Mes illusions donnent sur la cour, mais cette rentrée littéraire vaut mieux que ca. Lisez plutôt Les veilleurs ou Culte, c'est quand même autre chose.